Fauteuils roulants, une révision à la peine

(Le Nouvelliste)

Une nouvelle convention pour l’attribution des fauteuils roulants est entrée en vigueur début 2018. Elle provoque retards et mécontentements, surtout en Suisse romande.

PAR LENA WÜRGLER

Il aura fallu dix ans pour la voir aboutir. Et avec elle, c’est tout un petit monde qui est chamboulé. La nouvelle convention sur l’attribution des fauteuils roulants est entrée en vigueur au 1er janvier 2018. Elle devait servir à clarifier et accélérer la procédure appliquée depuis des années. «Les coûts des accessoires des fauteuils roulants avaient fortement augmenté, sans qu’il n’y ait d’explication convaincante. L’objectif principal était d’endiguer cette évolution», explique l’Office fédéral des assurances sociales (Ofas).

Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle procédure,nous avons vécu une explosion des dossiers. »FRANÇOIS MOREILLON DIRECTEUR DU CENTRE OUEST DE LA FSCMA

Auparavant, pour obtenir un fauteuil roulant, une personne à l’assurance invalidité (AI) avait besoin d’un document d’un médecin et du devis d’un fournisseur spécialisé. «Chacun faisait son rapport comme il l’entendait», explique Tobias Geiser,technicien chez Sanitas Botta &Botta, à Bienne. Ensuite, l’AI faisait vérifier le devis par la FSCMA (Fédération suisse de consultation en moyens auxiliaires) puis, s’il était validé, en payait le montant.


Se passer de la FSCMA

Désormais, la nouvelle convention cadre comprend vingt forfaits fixes, variant selon le type de fauteuil nécessaire, les limites fonctionnelles du patient et son degré d’invalidité, établis par le médecin dans un formulaire standardisé. Selon les différents acteurs, l’un des objectifs était de rendre la procédure suffisamment claire pour que les offices AI puissent accepter ou refuser eux-mêmes les devis, sans les faire contrôler par la FSCMA. Cette dernière ne devrait être consultée plus qu’en cas de litige. Pour Marc Moser, fondateur d’Ortho-team SA, à Berne, et membre du groupe de travail qui a préparé la convention, «la nouvelle procédure est plus transparente, plus claire et plus efficace». Cependant, son implantation ne s’est pas faite sans remous. Face aux commentaires des praticiens, la liste des tarifs a déjà dû être corrigée trois fois. De plus,dans une lettre circulaire du 19 juin, l’Ofas indique que «le passage de l’ancienne à la nouvelle convention tarifaire» a conduit «à des différences d’ordre procédural entre les offices AI»et à des «divergences» dans les formulaires utilisés par les médecins. Cette confusion a «entraîné des retards dans le traitement des demandes». Ce que confirment les praticiens. «Pendant plusieurs mois, en raison des retards, nous n’avons vendu aucun fauteuil dans le cadre de l’AI Mais maintenant, ça va mieux», explique Tobias Geiser.

Röstigraben du fauteuil

Si la situation semble s’être améliorée outre-Sarine,ce n’est pas encore le cas en Suisse romande. «Les offices AI sont dépassés»,raconte Vincent Blatte*, responsable d’une entreprise de réhabilitation en Suisse romande, qui souhaite rester anonyme.«Nous avons encore une centaine de devis en attente. Nous recevons, aujourd’hui,des réponses pour des dossiers déposés en septembre ou octobre».«Alors qu’il faut actuellement un mois, en Suisse alémanique,pour qu’une décision soit prise,il en faut plus de six en Suisse romande», observe Marc Moser.La raison? Les offices AI romands auraient de la peine à se débrouiller sans la FSCMA. »Nos dossiers passent encore systématiquement par elle, quand bien même cela pourrait être évité», relève Olivier Boillat, directeur de la fondation Serei(entraide et information pour personnes en situation de handicap), à La Chaux-de-Fonds. François Moreillon, directeur du centre ouest de la FSCMA, le confirme: «Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle procédure, nous avons vécu une explosion des dossiers à analyser. Dès que les collaborateurs de l’AI reçoivent un dossier,ils nous le délèguent.» Il déclare que le centre ouest de la FSCMA a reçu 300 dossiers supplémentaires pour les fauteuils roulants et que sa charge de travail a augmenté de 30 pour cent.«Nos collègues alémaniques n’ont pas vécu un tel boom»,constate François Moreillon.

Crainte d’une haussedes coûts

D’après plusieurs spécialistes, le nouveau système a aussi tendance à compliquer les démarches, surtout lorsqu’il faut ajouter des accessoires qui ne sont pas compris dans les forfaits. Ce qui s’avère souvent nécessaire «Pour chacune de ces options,nous devons noter un numéro à neuf chiffres. Du coup, mes devis font de trois à quatre pages écrites en petit et il me faut deux heures pour les remplir, contre quinze minutes par le passé», s’insurge Vincent Blatte*.Plusieurs acteurs craignent aussi que ce système n’engendre une hausse des coûts. Selon eux, certains fournisseurs pourraient en profiter pour ajouter des accessoires inutiles. «Ils peuvent installer des options « autorisées » par le médecin, mais qui ne sont pas forcément nécessaires à tous les handicaps», détaille François Moreillon. (*)nom d’emprunt.

Vers une baisse de qualité?

Les acteurs craignent aussi qu’un phénomène de «lissage» des prestations ne s’installe. Avec un système forfaitaire, le risque existe que fournisseurs ne délivrent plus que des fauteuils bas de gamme, afin d’augmenter leurs marges.«Nous constatons déjà que de moins en moins de fauteuils haut de gamme sont livrés», observe François Moreillon. «Si tous les commerçants spécialisés se mettent à livrer du matériel à bas prix et de moindre qualité, le risque est que l’Al baisse les forfaits en conséquence», s’inquiète, pour sa part, Bernhard Wissler, technicien spécialisé et orthopédiste. De son côté, l’Ofas estime qu’il est trop tôt pour juger de l’efficience du nouveau système. «Avant de pouvoir tirer un bilan global, il faut laisser du temps pour que tous les acteurs impliqués s’y accoutument et s’y adaptent davantage.» Dans tous les cas, les acteurs concernés devront attendre une année encore avant de pouvoir déposer, s’ils l’estiment nécessaire, une demande de résiliation de la convention.


Plusieurs acteurs craignent que la nouvelle convention sur l’attribution des fauteuils roulants n’engendreune hausse des coûts. KEYSTONE

 

Le contrat qui dérange les fournisseurs privés

L’Office fédéral des assurances sociales a confié deux missions à la FSCMA (Fédération suisse de consultation en moyens auxiliaires). La première est de contrôler des devis (lire ci-dessus).La deuxième consiste à gérer un stock de moyens auxiliaires et d’en livrer aux assurés. Ce cumul de fonctions pose un problème aux fournisseurs privés.C’est principalement le cas pour les fauteuils livrés aux personnes à la retraite. Quand un assuré est à l’AVS, la loi prévoit de lui octroyer un forfait de 900 francs pour s’acheter un fauteuil roulant «simple» chez le fournisseur de son choix. Mais s’il a besoin d’un fauteuil roulant avec un équipement spécial, par exemple s’il souffre d’une tétraplégie, l’assuré peut obtenir un forfait allant jusqu’à 2200 francs. Seulement, dans ce cas, il a l’obligation de se fournir auprès de la FSCMA. Et ça,les fournisseurs privés ne le digèrent pas. «C’est de la concurrence déloyale pure et dure. Pourquoi ne pouvons-nous pas offrir toute la palette des moyens auxiliaires?», s’interroge Olivier Boillat, directeur du Serei, à La Chaux-de-Fonds.

Fournisseurs privés lésés?

Selon l’Ofas, le monopole accordé à la FSCMA sur cette gamme de produits fait office de moyen de contrôle. Il craint que, sans ce système, les fournisseurs privés ne cherchent trop souvent à prescrire des fauteuils spéciaux – et donc chers -à leurs clients, même quand ces derniers n’en ont pas besoin. Mais la grogne des fournisseurs privés ne s’arrête pas là. En plus de livrer des fauteuils AVS, souvent neufs, la FSCMA est aussi chargée de gérer des stocks de matériel d’occasion pour le compte de l’assurance invalidité (AI). Lors de chaque demande de fauteuil roulant, la FSCMA va regarder si le modèle prescrit est disponible dans ces dépôts. Si c’est le cas, c’est d’office elle qui va le livrer. «Pourtant, c’est nous qui faisons toutes les démarches préalables, les essais avec l’ergothérapeute, les mesures, le devis», relève Pedro Sobral, fournisseur en moyens auxiliaires basé à La Chaux-de-Fonds. «Nous ne sommes pas payés pour ce travail qui, au final, profite à la FSCMA», ajoute Olivier Boillat. Aux yeux de l’Ofas, toutefois, cette procédure est similaire à celles appliquées dans d’autres marchés. Et François Moreillon, directeur du centre ouest dela FSCMA, de rappeler que la FSCMA ne livre qu’environ 10% des moyens auxiliaires concernés et qu’elle permet d’économiser près de neuf millions de francs par année à l’Ofas.