Les réformes de l’AI manquent leur objectif de réinsertion

( Le journal de l’UNIGE)

L’un des objectifs principaux des dernières révisions de l’Assurance invalidité (AI) survenues en 2004, 2008 et 2012 était la réduction du nombre de rentiers, en particulier parmi les jeunes souffrant de handicap psychique. Dans sa thèse, dirigée par Jean-Michel Bonvin, professeur à la Faculté de sciences de la société, et soutenue le 12 février, Emilie Rosenstein montre que les résultats obtenus ne sont pas précisément ceux qui étaient visés. Selon ce travail, conduit dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES, le nombre de rentiers a certes nettement baissé au niveau national, mais la part des plus jeunes bénéficiaires – âgés de 18 à 34 ans – n’a pas diminué. Quant aux rentes d’invalidité pour raisons psychiques, elles demeurent prédominantes et concernent près d’un rentier sur deux.


Photo /journal de l’UNIGE

«La baisse des effectifs s’explique davantage par un durcissement des critères d’éligibilité que par l’augmentation des sorties de l’AI, notamment à la suite de mesures de réadaptation», résume Emilie Rosenstein.

Les réformes de l’AI, pour atteindre leur but, ont en effet introduit une évaluation plus stricte du droit à la rente, mais aussi une intervention plus rapide de l’AI, basée notamment sur une détection précoce des incapacités, et un développement des mesures de réadaptation professionnelle et de placement sur le marché du travail.

La thèse pointe nombre de contradictions dont l’une des principales réside dans le fait que l’AI, pour réduire les dépenses, pousse les bénéficiaires potentiels à se déclarer le plus vite possible.

Afin de suivre les trajectoires des assurés au fil du temps et des révisions, Emilie Rosenstein, en collaboration avec Felix Bühlmann, professeur à l’Université de Lausanne, a conduit des analyses de séquence sur des échantillons représentatifs de bénéficiaires de l’AI dans le canton de Vaud. Et il en ressort une augmentation considérable des refus de prestation par l’AI. Et, bien que croissant, l’octroi des mesures de réadaptation professionnelle demeure marginal.

La thèse pointe également nombre de contradictions dont l’une des principales réside dans le fait que l’AI, pour réduire les dépenses, pousse les bénéficiaires potentiels à se déclarer le plus vite possible, gageant qu’une intervention précoce préviendra le versement de rentes à moyen et long terme. Or, selon Emilie Rosenstein, cette pression a au contraire un effet dissuasif sur les bénéficiaires, soit parce qu’ils ignorent l’étendue des prestations offertes par l’AI, soit parce que leur santé est trop instable pour qu’ils puissent prendre des décisions à ce stade, soit encore parce qu’ils sont dans une phase de déni de leur handicap.

La chercheuse estime par ailleurs qu’il existe un risque d’«inauthenticité» des projets de réinsertion, et donc d’échec si l’on ne prend pas suffisamment en compte les attentes et les besoins des bénéficiaires.

Elle dénonce également la forte asymétrie entre la responsabilité individuelle des assurés face à leur projet de réinsertion et la limitation des possibilités d’aménagement des opportunités professionnelles. Emilie Rosenstein appelle dès lors à se soucier davantage des «facteurs de conversion» nécessaires pour réduire les inégalités entre personnes valides et invalides et promouvoir ainsi un accès réel, et pas seulement un droit formel, à la réinsertion professionnelle.