La culture accessible à tous

(Le Courrier.ch)

Une visite guidée en langage adapté à la condition de personnes atteintes dans leur santé mentale: un pari suivi lors de la Nuit des musées de Lausanne.

Achille Karangwa


Les participants ont pu apprécier les oeuvres du sculpteur Nikola Zaric à l’Espace Artaud. JEAN-BERNARD SIEBER/ARC

 

«Objets, objets, dites-nous tout!» Ainsi harangue le titre du parcours en langage facile de la Nuit des musées, samedi à Lausanne. Organisé en collaboration avec l’association de défense des droits Solidarité-Handicap mental (SHM), il a été suivi par douze participants durant trois heures, guidés par la médiatrice culturelle Myriam Valet à travers les méandres de l’Espace Arlaud, le Palais de Rumine et le Musée historique de Lausanne. La visite avait pour mission de rendre la culture accessible à ces amateurs atteints dans leur santé mentale, en questionnant les objets exposés.

Inclure tous les publics

Premier week-end d’automne, mais la place de la Riponne retrouve l’effervescence estivale. Soleil au rendez-vous, les curieux s’attroupent et se dispersent au gré de leurs goûts pour cette nouvelle Nuit des musées. Myriam Valet, elle, s’empare des œuvres du sculpteur Nikola Zaric – exposé aux abords de la place, à l’Espace Arlaud – afin d’expliquer les procédés de création artistique à ses participants. Est-ce que le cynocéphale (homme à tête de chien) devant lequel ces derniers prennent des selfies existe en réalité? En utilisant des mots simples qui rendent compte des matériaux utilisés, de l’univers qu’une telle créature peut évoquer, elle fait mouche. «Je collectionne des cochons en bois, en plastique, en métal», s’écrie l’un deux. «Vous êtes aussi un collectionneur d’art, alors!» répond la guide qui planche sur l’accessibilité en médiation culturelle dans les musées suisses romands depuis ses études. Il acquiesce.

Obstacles

Employée au Service des affaires culturelles du canton, elle apprécie ces exercices de terrain. «On cherche à dépasser les obstacles que subissent ces personnes lorsqu’elles veulent appréhender la culture dans l’espace public.»

Faire découvrir «Cosmos» au Palais de Rumine? Un pari. La scénographie sinueuse et étroite appelle l’attention des deux accompagnantes de SHM. Parfois on aperçoit, au milieu de deux cents ans d’objets collectés par le canton, les regards insistants – surpris ou gênés – d’autres visiteurs face à la présence de ce groupe un peu particulier. Cela n’entame pas l’enthousiasme des participants qui, au détour d’une pause sur l’esplanade de la Cathédrale,repassent en revue les douze univers visités.

Au sortir de la troisième et dernière étape, le Musée historique de Lausanne, un participant prend solennellement la parole après une chasse aux objets emblématiques de la Ville: «Si on tamponne nos tickets, nous pouvons gagner des passeports dans les musées suisses!»

Participation de tous

L’accessibilité est depuis dix ans un axe des programmes de la Nuit des musées. Cheffe de projet au sein de l’agence de communication Plates-Bandes, qui produit la manifestation, la députée verte Léonore Porchet explique: «Nous nous basons sur les effort déjà entrepris par les musées pour, avec des associations comme SHM, Pro Infirmis ou L’Art d’inclure, s’assurer que tout le monde puisse participer.»

Depuis 2018, un bénévole de la Nuit par musée est référent sur ces questions. «La limite de l’exercice est qu’ils ne sont pas formés pour accompagner», note-t-elle toutefois. Ces programmes visent à mettre en contact les acteurs concernés, et rendre possibles les visites renseignant sur l’accessibilité en chaise roulante, avec chien d’aveugle ou les offres particulières comme le parcours langage facile.

Mesurer le succès?

L’accessibilité est difficile à mesurer. Si 15 000 visiteurs arboraient autour du coup le ticket clé leur ouvrant 24 musées de 14h à 2h, impossible de savoir combien bénéficient de ces efforts. En fin d’après-midi, Myriam Valet est exténuée par l’énergie dépensée pour ce parcours. Mais elle salue une démarche indispensable: «Les musées représentent notre patrimoine à tous. La présence d’handicapés mentaux peut gêner, mais comme n’importe qui, c’est leur droit d’accéder à ces lieux.» Episodiquement? «Personne ne peut dire s’ils y retourneront tous les samedis mais ils démontrent aujourd’hui que c’est possible.» Notre amateur de concours, lui, n’a pas fini sa visite et la continuera au Musée olympique. Durant l’after nocturne, Léonore Porchet met en lumière la présence de personnes en chaises roulantes et veut croire au succès de l’initiative.