Les gares du CEVA à l’épreuve du fauteuil roulant (GE)

(tdg.ch)

Des experts en mobilité réduite testent empiriquement les nouvelles stations.


Djamel à Champel avec Tao. Image: STEEVE IUNCKER-GOMEZ

 

Les nouvelles gares genevoises, ce n’est pas toujours une affaire qui roule quand on est en fauteuil roulant. Pour tester l’accessibilité de ces nouvelles réalisations du point de vue des personnes à mobilité réduite, que peut-on imaginer de mieux que de s’en remettre à l’expertise du Club en fauteuil roulant de Genève? Pourquoi solliciter cette section locale de l’Association suisse des paraplégiques? Parce qu’en plus de la question du handicap lourd, on peut présumer que les écueils que l’on rencontre en chaise roulante ne constituent pas davantage une partie de plaisir pour une personne âgée peu sûre de ses jambes ou pour des jeunes parents affublés d’une poussette.

Avec trois membres du club, nous avons visité une gare (Eaux-Vives) et deux haltes (Champel et Bachet). Rendez-vous est pris dans la première de ces stations. Avec Olivier Dufour (président) et Djamel Bourbala (vice-président), nous attendons Tao Pham, responsable du thème «Construire sans obstacles». Venu en voiture, il peine à se parquer. L’occasion d’évoquer un premier grief: les stationnements pour handicapés devraient être gratuits et si possible en surface, mais aux Eaux-Vives, on les trouve dans le parking souterrain et payant.

«Lève-toi et marche!»

En attendant, on sillonne la galerie marchande, en notant avec satisfaction la présence d’ascenseurs donnant accès au quai ferroviaire. Avant d’y descendre, testons les WC. Les cabines sont jugées suffisamment vastes pour être qualifiées de lieu d’aisances même par une personne en chaise. La barre d’appui est au rendez-vous. Une réserve: un seuil très carré et un peu élevé, «franchissable, mais avec un effort», souligne Djamel.


Djamel sur les dévers du Plateau.

 

On est sur le quai quand Tao nous rejoint enfin. «J’ai tourné une demi-heure et fini par me parquer sur une case livraison», raconte-t-il. On parcourt l’interminable plateforme ferroviaire pour trouver à son extrémité nord des escaliers infranchissables puisque dépourvus de toute alternative mécanique: ni escalator ni ascenseur. «Lève-toi et marche!» lance Tao ironiquement à l’égard de Djamel. Cette émergence mène aux parcs et à toute une série d’arrêts de bus. Une personne en chaise qui aurait débarqué du train à cette hauteur et voudrait justement prendre cette direction sera contrainte à un détour par le milieu de ce quai si long pour trouver un ascenseur. «Un parcours de 300 mètres, précise Olivier. On a un problème semblable à l’une des extrémités de la gare de Chêne-Bourg.»

On prend le train. Embarquement sans heurts. La descente en gare de Champel, dont le quai est courbe, s’avère un peu plus acrobatique. Le marchepied qui s’extrait du train lors de l’ouverture des portes est légèrement au-dessus de la plateforme et laisse trois ou quatre centimètres de vide. «Certains utilisateurs de fauteuils électriques auront du mal», avertit Tao. À ce titre, d’autres stations genevoises réservent toutefois de pires surprises (lire ci-dessous).

Un plateau si mal nommé

On scrute la station. Nos testeurs déplorent l’absence de bancs sur le quai, alors que la gare des Eaux-Vives, elle, en offre en abondance. Dans cette halte, la plus profonde du CEVA, à quelque 25 mètres sous le plateau de Champel, les organisations liées au handicap ont milité, avec succès, pour la pose d’un ascenseur d’appoint qui, s’il ne rejoint pas la surface, permet au moins de rallier la mezzanine où débute le tunnel vers le quartier hospitalier.

«Pour monter, il faut faire des lacets, mais même ainsi, c’est presque impossible sans aide»

Mais on explore d’abord le plateau, qui est tout sauf plat. On emprunte une allée qui longe la façade de la gare et l’avenue de Champel. Nos testeurs y subissent un double dévers: l’allée est en pente dans le sens de la marche, mais aussi de côté. Cette inclinaison latérale est de 5% alors que le bas de la pente marque un dénivelé atteignant 11%. Cela aurait pu être pire: les associations sont intervenues en fin de travaux, obtenant qu’on limite les dégâts.

De l’autre côté du bâtiment, des allées rejoignant le haut du plateau sont encore plus pentues. «Là, c’est du 17,6%, mesure Tao. Pour monter, il faut faire des lacets, mais même ainsi, c’est presque impossible sans aide. Un déambulateur ne passera pas non plus.» Les deux hommes renoncent. Djamel a mal aux épaules. «C’est épuisant, souffle-t-il. Pire qu’une séance de physio!» Une signalisation particulière pour les usagers de fauteuils roulants semble nécessaire.


Djamel sur l’immense quai des Eaux-Vives.

 

Démarche d’avenir

Le tunnel vers l’Hôpital est, lui, jugé confortable. En revanche, ses abords près des avenues de Beau-Séjour et de la Roseraie présentent eux aussi de multiples dévers difficiles à négocier.

On fait encore un saut au Bachet, où on note des anicroches, comme des ascenseurs peu centrés (ils se situent en bout de quai, ce qui engendre des détours), des bancs toujours absents et un petit souci aux WC de la vélostation: un handicapé qui y aura accédé avec sa clé spéciale ne peut pas verrouiller la cabine, si bien qu’il risquera d’être surpris en pleine action par un usager payant.

En reprenant le train, Djamel philosophe sur l’importance de ce qui peut apparaître comme des détails: «Nous aurons de plus en plus de personnes âgées. Si on ne veille pas à une mobilité aisée, elles s’isoleront chez elles. Leur perte d’autonomie coûtera cher.»

Quand le marchepied fait faux bond

Le monde ferroviaire romand est un village. Sans que la moindre concertation préalable n’ait eu lieu, notre visite de la gare des Eaux-Vives nous a fait tomber nez à nez avec le directeur des CFF pour la Suisse romande, Alain Barbey. En chemin pour Annemasse, afin d’y discuter des soucis de lancement du Léman Express, ce dirigeant a raté volontairement un train pour discuter avec nos experts en chaise roulante.

Au menu de leur conversation, un défaut qui n’affecte pas les nouvelles gares CEVA mais des stations plus anciennes du Léman Express, inadaptées aux normes. Dans une halte comme les Tuileries (commune de Bellevue), le quai est trop bas pour permettre un accès de plain-pied au véhicule.

Les rames suisses du Léman Express déploient malgré tout leur marchepied à cet arrêt: elles sont programmées pour le faire. Les rames françaises utilisent, elles, un système de capteurs qui, ne décelant que du vide face au marchepied, laisse ce dernier blotti dans sa cache, ouvrant ainsi une béance entre le quai et le train. Pour les représentants du club, il y a un gros risque d’accident. Ce couac n’a été que récemment découvert. Des annonces à bord sont prévues, précise Alain Barbey.

La mise à jour des stations des Tuileries, de Versoix et de Pont-Céard – en particulier leur ajustement aux exigences de loi en matière d’égalité avec les handicapés – est déjà planifiée. Ces travaux à 19 millions de fr. sont prévus en été 2021. Ils nécessiteront le remplacement du Léman Express par des bus de substitution durant une période de huit semaines, ont annoncé les CFF il y a une année.