Les Thilo sont liés par une confiance aveugle

(tdg.ch)


Fin juillet, la fratrie Thilo, Louise, Anne-Sophie et Max (de gauche à droite)
ont navigué au large de Pully / Sébastien Anex

 

Debout au centre du bateau, Maximilien Thilo règle minutieusement les voiles en écoutant les instructions de ses deux sœurs. Aveugle depuis la naissance, il ne peut pas voir la dizaine de cordes fixées devant lui, et pourtant il ne se trompe jamais. «Je les reconnais au toucher, mais aussi grâce à ma mémoire parce que je me souviens de leur emplacement.»

Les bloqueurs forment les touches d’un piano imaginaire. C’est d’ailleurs le nom donné à ce poste stratégique. «La bonne marche du bateau dépend en partie des réglages faits ici. C’est une grande victoire pour moi. Quand je quitte la terre ferme, je m’évade. Une fois à bord, la notion de handicap disparaît et je deviens un équipier comme un autre.»


je deviens un équipier comme un autre…

Il reconnaît les bateaux

À ses côtés, Louise et Anne-Sophie Thilo sont des équipières de luxe. Les deux Vaudoises ont porté les couleurs de la voile suisse au plus haut niveau. «Aujourd’hui, Max navigue plus que nous», rigole la cadette de 23 ans. «C’est vrai que je sors sur le lac tous les mercredis avec mon équipe de copains», poursuit son frère, un peu timide en ce début d’entretien.

Le trentenaire aux longs cheveux blonds poste régulièrement des photos de ces régates sur les réseaux sociaux. L’année dernière, il a participé au Bol d’Or. «Ça bastonnait vraiment», se souvient-il alors que cette 81e édition est restée dans les mémoires pour sa tempête ravageuse.

Un bateau de la CGN passe à bâbord, au large de Pully. Sa sirène retentit et interrompt les discussions. «C’est quel bateau Max?» demande Louise sur un ton amusé. «Avec un son aussi grave, ça ne peut être que le Général Guisan», répond son frère. «Il a raison en plus!» rigole Anne-Sophie. «Quand on était petit, on avait deux cassettes avec l’enregistrement des sifflets, explique-t-il, comme pour s’excuser. J’arrivais à les reconnaître à chaque fois.» La famille n’habitait pas loin de l’eau. À chaque passage, ses sœurs prenaient les jumelles pour vérifier s’il avait raison. «C’était tout le temps le cas», précise l’aînée avec une pointe de nostalgie.

Grimpe, surf ou skate

Les Thilo ont bien grandi depuis, mais leurs liens ne se sont pas déliés pour autant. Malgré un emploi du temps chargé, ils se retrouvent régulièrement pour faire du sport, et pas seulement de la voile. «On a fait de la grimpe, de la plongée, du surf, du skate ensemble, détaille avec enthousiasme Louise. Max a même sauté des corniches à ski.»

L’hiver, ils le passent en montagne, sur les domaines skiables. «Notre frère skie avec nous, explique Anne-Sophie. On ne s’est jamais posé la question de savoir s’il pouvait venir avec nous. On a toujours trouvé un plan B, C ou D, mais Max était intégré à ces activités sportives.»


«La société décourage très vite les gens qui ne rentrent pas totalement dans le moule»
Anne-Sophie Thilo


Avec une pointe de fierté, le Vaudois rappelle qu’il a été champion suisse de géant il y a quelques années. Une anecdote qui fait bondir ses deux sœurs dans un grand éclat de rire. «C’est vrai qu’il fait plein de choses, reconnaît Louise. Mais, on doit quand même souvent le pousser, pour réussir à le faire sortir de sa chambre et quitter son ordinateur. Il râle un peu, mais une fois qu’il nous a suivies, il est trop content. Et surtout, il en parle après pendant des années.»

Une société qui «décourage»

Une fois lancé, Max se laisse porter par ses sœurs qui sont ses yeux. Ces moments partagés permettent de faire tomber la barrière du handicap, de nourrir une confiance en soi sans cesse fragilisée par les autres. «La société décourage très vite les gens qui ne rentrent pas totalement dans le moule», résume Anne-Sophie, avec l’expérience d’un vécu qui n’a pas toujours été aussi radieux.


«Quand Max était petit, il y avait toujours quelqu’un pour lui dire qu’il ne pourrait jamais faire telle ou telle chose parce qu’il ne voyait pas»
Louise Thilo


Louise enchaîne dans la foulée, comme si elle avait capté au bond une passe adressée par sa coéquipière. «Quand Max était petit, il y avait toujours quelqu’un pour lui dire qu’il ne pourrait jamais faire telle ou telle chose parce qu’il ne voyait pas. Mes parents ont toujours répondu le contraire. Et c’est le cas. Il a rapidement été intégré dans une école normale, il a fait un apprentissage, une école de massage.» Le grand frère écoute attentivement. Un sourire se dessine sur son visage.

Le temps commence à manquer. Le prochain patient va bientôt arriver au cabinet de Maximilien Thilo. Après plusieurs essais infructueux, les deux sœurs parviennent à allumer le moteur du bateau. Le vent capricieux du Léman a définitivement pris le large. Il faudra rentrer au port de Pully par ses propres moyens.

Une nouvelle activité

La prochaine sortie familiale aura certainement lieu en montagne. Les Thilo viennent d’investir dans un tandem VTT et électrique. Jusque-là, Max devait se coltiner les paisibles sorties en randonnée avec les parents. Il peut désormais suivre ses sœurs et dévaler les pentes, même en été.


Les Thilo viennent d’investir dans un tandem VTT

«Comme je ne vois pas, mes sensations sont décuplées. Je sens le vent sur ma peau ou les mouvements de terrain. C’est grisant.» Régulièrement, Louise et Anne-Sophie essaient aussi de ressentir ça. Renonçant à la vision pour se mettre à la place de leur frère. «C’est quand même impressionnant, souligne la plus jeune. On se rend alors compte qu’il nous fait vraiment confiance.»

 

Anne-Sophie, 32 ans. L’aînée Thilo a pris part aux Jeux olympiques d’été à Pékin en 2008. La même année, la Vaudoise a décroché la médaille d’argent aux championnats d’Europe en classe 470 avec Emmanuelle Rol. Retraitée en 2013, elle a lancé sa propre entreprise de communication et figure au conseil de fondation du Fonds du sport vaudois.

 

Louise, 23 ans. La benjamine a pratiqué la voile à haut niveau, représentant la Suisse aux Mondiaux juniors et aux Universiades. Cette étudiante en physiothérapie encadre des centaines de navigateurs en herbe lors des camps d’été organisés par le Club nautique de Pully. Depuis quelques jours, elle tient la cabane de Susanfe, derrière les Dents du Midi.

 

Maximilien, 30 ans. «Max» est un sportif touche-à-tout. Voile, grimpe, VTT, ski hors-piste, plongée ou skate, il ne recule devient rien, malgré sa cécité, grâce au soutien inconditionnel de ses sœurs. Le cadet a participé au Bol d’Or 2019. Une 81e édition marquée par de forts orages. Massothérapeute diplômé, il a ouvert un cabinet à Pully.