Proches aidants: La Suisse progresse sur le long chemin de la reconnaissance

(heidi.news)

par Lorène Mesot

Ils sont plus de 330’000 en Suisse à assister un parent, un ami, un voisin. Le statut de proche aidant gagne peu à peu une reconnaissance. Le 1er janvier 2021 marquera l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi fédérale visant à leur faciliter la vie, en leur accordant des congés supplémentaires en cas de problème et en élargissant les aides disponibles. Les professionnels au contact des aidants se réjouissent mais nuancent: le chemin à parcourir reste conséquent.

Pourquoi ils sont importants. Jamais le rôle des proches aidants n’est apparu autant essentiel qu’à l’heure de Covid-19. Véritable pierre angulaire d’une politique de santé misant sur l’ambulatoire, ils permettent d’alléger le système de soins, d’éviter des placements en institution et d’entretenir le lien entre les générations. En 2017, plus d’un Suisse sur dix a reçu de l’aide d’un parent, d’un voisin ou d’une connaissance pour des raisons de santé. Et le nombre d’aidants croît sans cesse, vieillissement de la population oblige.

Se reconnaître comme tel. Un papa qui soutient sa fille de 14 ans atteinte d’un cancer, une voisine de palier qui fait les courses pour un proche immobilisé, ou encore un adolescent épaulant sa mère bipolaire dans sa gestion du quotidien. Loin d’être réservée aux situations où la personne aidée est âgée, l’appellation est vaste et désigne une infinité de situations.

À Genève en 2017, environ 57’000 personnes apportaient leur soutien une ou plusieurs fois par semaine, sans rémunération, à un proche souffrant de problèmes de santé. On estime leur nombre à 330’000 pour l’ensemble de la population active suisse, sur la base de données de 2012 qui sous-estiment sans doute la situation actuelle.

Véronique Petoud, déléguée cantonale aux personnes proches aidantes pour le canton de Genève, précise:

«Le terme de « proche aidant » est maintenant connu et sa définition s’est affinée. On parle désormais de voisins,d’amis, de connaissances, plus seulement de personnes avec un lien familial, vivant sous le même toit. Depuis quelques années, les proches aidants commencent à s’identifier comme tels.

L’évolution en matière de perception des gens et de mesures mises à disposition est possible notamment grâce à des campagnes d’information, le site internet de l’État avec une rubrique dédiée, une présence médiatique, une présence sur les réseaux sociaux et des relais politiques.»

Martine Rouge est responsable du service d’accompagnement à domicile proposé par les associations Alzheimer Genève et Pro Senectute Genève. Sa collègue et elle coordonnent une équipe de 48 personnes qui propose aux proches de personnes atteintes de démence des relèves à domicile, le temps que les proches puissent souffler et vaquer à leurs occupations.

A l’heure de la deuxième vague épidémique, Martine Rouge est inquiète. Les autorités sanitaires ont suspendu les accompagnants de plus de 65 ans, soit une quinzaine de personnes de l’équipe. Dans le même temps, la fermeture des foyers de jour dans le canton, avec une relève partielle à domicile, accroit la charge des aidants.Résultat, le service de Martine Rouge fonctionne à flux tendu et doit prendre des décisions difficiles:

«Nous assistons un monsieur qui va en dialyse trois fois par semaines. C’est vital pour lui de s’absenter, mais il n’a aucun entourage capable de prendre la relève auprès de son épouse atteintes de troubles cognitifs. Et elle ne peut rester seule. Dans ce cas précis, il a été terrible de devoir lui annoncer que nous ne pourrions plus assurer la relève, car sur les deux accompagnantes qui gèrent cette situation, l’une est hospitalisée à cause du Covid-19 et l’autre est en quarantaine. Je l’ai mis dans l’embarras au plus haut point.

Suite à cela, le couple a en plus attrapé le virus. Je ne pouvais pas envoyer quelqu’un de chez nous pour les aider.(Son service ne propose pas de soins médicaux, uniquement un accompagnement psycho-social ndlr). Avec des cas comme celui-ci, je vois vraiment les limites de notre système.»

Un mille-feuille de dispositifs. De nombreux dispositifs ont été mis sur pied à destination des proches aidants ces dernières années. A Genève, ils sont recensées sur un site géré par le canton, baptisé GE suis proche aidant, à Vaud, une page du site des autorités cantonales y est dédiée, tout comme dans les cantons de Fribourg, du Valais,du Jura et de Neuchâtel.

La panoplie de mesures proposées – ligne téléphonique, carte d’urgence, formation, relève à domicile ou hors du domicile, évaluation de l’état d’épuisement du proche aidant, ou encore soutien social et aide administrative – est en général le fruit d’un partenariat avec les associations et les organisations socio-sanitaires locales.

Marie Leocadie est chargée d’enseignement à la Haute école de santé de Genève et responsable de la formation destinée aux proches aidants du canton en place depuis janvier 2020. Elle note:

«Nous savons que les trois grands besoins des proches aidants sont le besoin de formation, d’informations et de conseils, le besoin de répit et le besoin de reconnaissance. La reconnaissance s’articule sur plusieurs niveaux: au sein du cercle familial, au niveau de la société et au niveau légal.»

Mais ces dispositifs sont encore peu sollicités par les proches aidants, plus prompts à fournir de l’aide qu’à se signaler pour en recevoir. Véronique Petoud (Genève):

«Au début, il y a un sentiment valorisant et gratifiant lié à la loyauté, la redevance familiale ou la solidarité intergénérationnelle. Cependant, sur la durée, des symptômes d’épuisement et un risque d’isolement apparaissent avec l’intensification de la fréquence du soutien apporté en lien avec la péjoration de l’état de santé et de dépendance de la personne aidée. Encore faut-il savoir où s’adresser pour demander de l’aide!»

Ce que prévoit la nouvelle loi. La nouvelle loi fédérale entrera en vigueur en deux temps. Le calendrier de mise en œuvre a été adapté face à la charge de travail entraîné par la crise Covid-19 et les retards qu’elle engendre au niveau des caisses de compensation.

Le premier train de mesures entrera en vigueur le 1er janvier 2021. À partir de cette date:

Les proches aidants dont un membre de la famille ou le partenaire est malade ou victime d’un accident pourront bénéficier de courts congés payés, de trois jours maximum. Inscrits au Code des obligations, ces congés ne devront pas dépasser un total de dix jours par an.

Le droit aux bonifications pour tâche d’assistance dans l’AVS est étendu. Les proches aidants pourront obtenir une bonification sur leur rente AVS s’ils assistent une personne au bénéfice d’une allocation pour impotence. Jusqu’à présent, cet avantage financier était réservé aux proches prêtant assistance aux personnes très dépendantes,bénéficiant d’une allocation pour impotence (voir encadré ci-dessous) élevée ou moyenne.

L’allocation pour impotent de l’AI en faveur des enfants continuera d’être versée même si le mineur est hospitalisé pour une longue durée, à condition que la présence des parents à l’hôpital soit nécessaire. Jusqu’à présent, le droit à l’allocation pour impotent était supprimé pour chaque mois entier passé à l’hôpital.

Par ailleurs, dès le 1er juillet 2021:

Véronique Petoud:

«C’est un grand pas. Nous observons une évolution politique. Le fait de concilier son activité professionnelle avec un rôle de proche aidant est reconnu par de nouvelles dispositions légales, et ceci va au-delà de questions de pénurie de professionnels de la santé ou de souci d’économie des dépenses de la santé, car il s’agit de soutenir les liens sociaux et intergénérationnels que les proches aidants entretiennent.

C’est un enjeu sociétal primordial de soutenir l’entraide.»

Lorsqu’une personne en âge AVS est en perte d’autonomie depuis plus d’une année pour accomplir seule les actes de la vie quotidienne, une demande pour une allocation pour impotent peut être faite. Ce terme peu attrayant désigne une aide financière comprise dans une fourchette de 237 à 948 francs par mois. Le montant dépend du degré de perte d’autonomie fonctionnelle et est échelonné sur trois niveaux: faible, moyen et grave.

Véronique Petoud:«Le mot impotent peut faire peur, mais c’est en fait une aide financière essentielle qu’il faut promouvoir. De plus,l’attribution de cette allocation est indépendante du revenu et de la fortune de la personne. Le conseil le plus important à donner pour établir cette demande est de la faire avec le soutien d’un assistant social en s’adressant à sa commune, à Pro Senectute ou à Pro Infirmis selon sa situation.»

Aide directe aux proches aidés qui peuvent ainsi rémunérer une aide à domicile, l’allocation pour impotent permet également d’obtenir des prestations supplémentaires de manière indirecte. C’est notamment la clé pour accéder à certaines mesures prévues dans la nouvelle loi fédérale. Il existe également une aide analogue destinée aux mineurs souffrant de handicap.

Ce qu’il reste à faire. Martine Rouge de Pro Senectute se réjouit également de la nouvelle loi et du congé payé pour les travailleurs ayant la charge d’un proche, mais regrette qu’avec l’étendue des bonifications pour tâches d’assistance de l’AVS, le système ne gratifie pas les proches aidants de manière directe. «Les aidants créditent leur bonus pour le jour où ils seront à l’AVS, il n’y a pas d’argent frais qui rentre», note-elle.

Des systèmes de bonifications directes sont pourtant à l’étude au niveau des cantons. Avec une difficulté majeure:contrôler le statut des demandeurs et le versement des aides sans trop alourdir un dispositif déjà peu lisible

A Genève, les lignes bougent, estime Véronique Petoud, qui planche sur le sujet. Les aidants genevois pourraient notamment bénéficier d’heures de répit offertes, en plus des cinq heures de relève à domicile déjà fournies par le canton pour assister à sa formation. Véronique Petoud:

«Nous avons déjà bien avancé dans la reconnaissance et le soutien aux personnes proches aidantes. On ne peut que relever que la crise sanitaire met en évidence tant leurs besoins que leur importance. Elle aboutira peut-être à une légitimation beaucoup plus conséquente de leur statut.»

Image d’illustration. | Keystone