Les musées encore trop inaccessibles

(La Liberté)

En Suisse, deux tiers des musées ne sont pas totalement ouverts aux personnes en chaises roulantes.


Pourcentage de Musées totalement accessibles aux chaises roulantes

 

Nicolas Maranda

Culture» A cause du coronavirus, tous les musées sont aujourd’hui fermés. Mais même quand ils rouvriront leurs portes, tout le monde ne pourra pas y accéder. Car en Suisse,seulement 35% des musées sont totalement accessibles aux chaises roulantes. Les autres ne le sont que partiellement ou pas du tout. C’est ce qui ressort d’une analyse du moteur de recherche disponible sur le site internet de l’Association des musées suisses (AMS). Ce taux varie beaucoup d’un canton à l’autre. Les meilleurs élèves sont Appenzell Rhodes-Intérieures,avec deux établissements accessibles sur trois, et Bâle-Ville(56%). Le canton de Fribourg se classe au cinquième rang avec pile 50% (11 musées sur 22), à égalité avec Nidwald, Zoug et Glaris. Obwald et Schaffhouse ferment la marche, eux qui ne disposent d’aucune collection totalement ouverte aux personnes à mobilité réduite.

A noter que cette recherche ne tient compte que des établissements qui sont membres del’AMS et donc qui respectent les critères définis par le Conseil international des musées(ICOM). Directrice du Musée gruérien de Bulle et présidente de l’AMS, Isabelle Raboud-Schüle précise: «Un musée doit respecter les règles éthiques du Conseil international des musées et, en particulier, disposer d’une base institutionnelle stable et clairement sans but lucratif. Il doit tenir à jour un inventaire de ses collections,être en mesure de conserver et exposer adéquatement les œuvres et objets qu’il détient.Tout cela implique un engagement dans la durée. Mais le musée a surtout une mission à l’égard de la société, en permettant la recherche sur ses collections et en fournissant de la documentation de qualité.»

Bâtisse du XVIIe siècle

S’il paraît très bas, le taux d’accessibilité pour les fauteuils roulants n’est néanmoins pas surprenant. «Beaucoup de musées sont situés dans des bâtiments historiques, qui souvent sont protégés. Il est donc très difficile, voire impossible, de garantir une complète accessibilité pour les personnes en chaises roulantes. Il faudrait investir beaucoup d’argent pour construire par exemple des ascenseurs extérieurs. Et ce n’est pas toujours compatible avec la conservation du patrimoine bâti», remarque Isabelle Raboud-Schüle.

Elle ajoute: «Les musées qui sont pleinement accessibles sont ceux qui sont logés dans des bâtiments construits spécifiquement pour eux. Aujourd’hui, cela se fait de plus en plus, comme à Lausanne avec le quartier des arts Plate-forme 10. Mais la majorité des musées sont situés dans des bâtiments qui n’ont pas été pensés pour ça, comme des habitations, des ateliers ou des bâtiments ruraux.»

Au Musée de Charmey, par exemple, une seule salle est accessible aux personnes à mobilité réduite. Elle contient l’exposition permanente consacrée à la chartreuse de La Valsainte.En revanche, impossible pour les chaises roulantes de monter dans les étages accueillant les expositions temporaires. L’institution est logée dans une bâtisse datant du XVII siècle, l’ancien Platzhaus de Bellegarde, qui a été déplacée et rénovée au tournant des années 1980 à 1990.«Il aurait été possible, à l’époque,d’inclure peut-être un ascenseur quelque part, mais cela n’a pas été fait.


«Nous devons aussi faire l’effort de sortir de nos murs» Elise Meyer

 

Garantir l’accessibilité n’était pas encore obligatoire lors de rénovations ou de constructions de bâtiments publics. Mais ça le serait aujourd’hui», relève Elise Meyer, conservatrice.

Responsable romande du Service culture inclusive de Pro Infirmis, Nicole Grieve observe: «En matière d’accessibilité et d’inclusion,, nous avons 40 ans de retard sur un pays comme la France, d’une part parce que nous sommes un État fédéral, mais aussi parce que c’est souvent une logique économique et une vision du handicap qui obligent l’individu à s’adapter qui priment. Et tant qu’il n’y aura pas d’obligation ni d’argent au niveau des politiques culturelles et sociales pour rendre l’environne-ment accessible et la vie en société inclusive, il sera difficile de faire mieux. Sur le terrain, il y a beaucoup d’initiatives lancées par des pionniers, mais cela reste encore ponctuel.»

Elle cite notamment le Musée d’art et d’histoire de Genève, qui a mis en place des visites descriptives et sensorielles proposant des reproductions de peintures en relief.«Cela inclut les personnes vivant avec un handicap visuel tout en intéressant de nombreux autres visiteurs», précise-t-elle. Et la question de l’accès aux lieux de culture ne concerne pas que les personnes à mobilité réduite mais aussi les personnes malvoyantes,malentendantes ou encore celles qui vivent avec une déficience intellectuelle.

Un label reconnu

Le Service culture inclusive décerne d’ailleurs un label encourageant notamment l’accessibilité des offres culturelles. En Suisse romande, où il existe de-puis 2018, une vingtaine d’institutions l’ont déjà reçu, comme l’atelier Creahm (Créativité et handicap mental) à Villars-sur-Glâne. «Nous accompagnons les établissements culturels pendant quatre ans avec des experts vivant eux-mêmes avec un handicap pour qu’ils développent l’inclusion dans différents champs d’activité comme l’accès aux contenus, l’accès architectural ou encore la communication», explique Nicole Grieve. Elle ajoute: «C’est important, car il ne s’agit pas de faire des adaptations pour seulement2 ou 3 personnes. En Suisse, les personnes en situation de handicap représentent 20% de la population. Et tout le monde, en vieillissant, sera concerné un jour.»

Pour Elise Meyer, la solution consiste peut-être aussi à aller à la rencontre du public. Elle ex-plique: «Notre mission, c’est avant tout de transmettre la culture. Alors bien sûr, nous aimerions avoir le plus de visiteurs possible dans notre musée. Mais parfois, nous devons aussi faire l’effort de sortir de nos murs.» La conservatrice du Musée de Charmey donne pour exemple la médiation culturelle proposée aux personnes âgées.«Dans ce cas, nous nous adaptons en nous déplaçant avec les objets. C’est un effort que nous devons faire de manière générale pour aller chercher notre public», conclut-elle.»


UNE OFFRE MUSÉALE OUI VARIE BEAUCOUP D’UN CANTON À L’AUTRE

Plus de 1200 institutions sont recensées sur le site internet de l’Association des musées suisses (AMS). Toutefois, seulement quelque 750 d’entre elles sont enregistrées comme membres de l’AMS, ce qui implique qu’elles répondent aux normes définies par le Conseil international des musées (ICOM). Duels cantons sont les mieux dotés en musées correspondant à ces critères? Sans surprise, il s’agit des trois cantons les plus peuplés du pays, à savoir Zurich (120 musées), Berne (76) Vaud (72). A titre de comparaison, Fribourg en compte 22. Mais cela ne dit encore rien de la densité de musées par région.

A ce jeu-là, selon l’analyse des données disponibles sur le site web susmentionné, ce sont Appenzell Rhodes-Intérieures et les Grisons qui dominent avec tous deux environ 18,6 musées estampillés AMS pour 100000 habitants. Dans ce classement, le premier romand est le canton de Neuchâtel,qui termine en quatrième position avec15,9 musées «officiels» pour 100000 habitants. Fribourg obtient seulement le vingt-troisième rang avec un taux de 6,8, juste devant Bâle-Campagne (6,2), Genève (5,4) et Zoug (4,7) qui ferment la marche. A noter que ce mode de calcul a tendance à favoriser les petits cantons ayant une position périphérique. C’est ce qui explique la densité relativement faible dans les cantons comptant le plus d’habitants: 7,8 musées pour Zurich et 7,3 pour Berne. NM