On suivra les députés en langue des signes

(tdg.ch)

Les débats du Législatif genevois seront interprétés à l’intention des personnes sourdes. C’est une première suisse.


Des essais d’interprétation en direct ont déjà eu lieu lors de la prestation de serment du Conseil d’État en 2018. Image: LAURENT GUIRAUD

 

Comment dit-on «la séance est levée» en langue des signes? Les Genevois auront bientôt l’occasion de le savoir en suivant les débats de leur parlement cantonal. Dès la fin de l’année, le Grand Conseil devrait faire l’objet d’une interprétation dans ce système linguistique visuel développé à l’intention des personnes sourdes, en général celles qui le sont de naissance. L’État a lancé en juillet un appel d’offres, pour des prestations à délivrer dès le mois d’octobre. Le fournisseur devra aussi se charger de sous-titrer en français les débats parlementaires.

Les députés ont introduit cette exigence dans la législation en mars 2017, dans le cadre d’un débat sur la diffusion des débats du Grand Conseil. On s’attendait à ce que l’interprétation en langue des signes ne puisse commencer que lorsque le parlement aurait intégré sa nouvelle salle, en cours de reconstruction à l’Hôtel de Ville, en 2021. Mais la mesure pourra être anticipée.

Une longue gestation

«On a d’abord imaginé qu’une cabine serait nécessaire pour l’interprète dans la salle même du parlement, mais comme il est aussi possible d’effectuer l’interprétation et le sous-titrage à distance avant de restituer le tout sur le site internet du parlement, le projet peut être réalisé avant 2021», explique le sautier Laurent Koelliker, secrétaire général du Grand Conseil. Pour des raisons techniques, l’incrustation en langue des signes ne devrait en revanche pas être disponible dans la version diffusée sur la télévision locale. Des essais d’interprétation en direct ont déjà eu lieu lors de la prestation de serment du Conseil d’État en 2018 et lors de deux autres sessions.

«Un bon signal»

Le parlement genevois avait envisagé une traduction en langue des signes dès 2009, sur la base de propositions du MCG qui sont toutefois restées lettre morte.

L’impulsion a été reprise par le député PS Cyril Mizrahi, pointu sur les droits des personnes handicapées. Siégeant à la Constituante, il avait été à la manœuvre pour que la nouvelle charte fondamentale du canton, en force depuis 2012, reconnaisse la langue des signes dans son article 16. C’est aussi lui, comme député, qui a été à l’origine de l’amendement légal chargeant le Bureau du Grand Conseil de prendre «les mesures nécessaires concernant l’accessibilité des débats pour les personnes sourdes et malentendantes».

Aujourd’hui, l’élu se félicite de l’avancée du dossier. «C’est un bon signal pour les personnes sourdes et malentendantes, juge le socialiste. Faute notamment de pouvoir suivre les débats, celles-ci ont beaucoup de mal à se forger des opinions en matière politique. Pour celles qui sont sourdes de naissance, la langue des signes est la seule véritablement naturelle, et elle diffère autant du français tel que nous le parlons et l’écrivons que le mandarin.»

«Constamment écartées des sources usuelles d’information, les personnes sourdes sont très curieuses et impatientes de découvrir de nombreuses choses, dont la politique, estime pour sa part Sandrine Burger, porte-parole de la Fédération suisse des sourds. On n’a pas idée de ce qu’elles vivent: c’est comme habiter dans un pays dont on ignore la langue.»

La responsable souligne le caractère pionnier de la démarche genevoise: si des interprétations ponctuelles de débats politiques ont pu avoir lieu çà et là, aucun parlement suisse ne propose une traduction régulière en langue des signes. «On espère que cela donnera des idées aux autres», lance Cyril Mizrahi.

Selon la fédération, on compte quelque 800 000 personnes sourdes ou malentendantes dans le pays, dont 10 000 seulement pratiquent la langue des signes, alors que les autres seront sans doute intéressées par le sous-titrage. Aucune statistique régionale n’existe mais, par déduction, on peut imaginer que les pratiquants de la langue des signes ne sont que quelques centaines à Genève.

Reconnaissance concrète

L’effort n’est-il pas démesuré pour une si petite minorité? «On peut se dire que c’est trop cher pour si peu de gens, mais la Constitution genevoise reconnaît la langue des signes et la reconnaissance des droits ne saurait rester purement théorique», décoche Sandrine Burger.

Pour Cyril Mizrahi, le pas que franchit Genève devrait être l’occasion d’un débat plus large sur l’accès au débat démocratique. «Le vote électronique résolvait toutes sortes de problèmes pour les personnes qui ne peuvent pas remplir un bulletin papier de façon autonome, mais on est désormais de retour à l’âge de la pierre, pointe le député. Nombre de personnes avec un déficit intellectuel ou psychique sont privées arbitrairement de droits politiques, ce qui est contraire à la Convention sur les droits des personnes handicapées. Par ailleurs, que fait-on pour rendre le matériel de vote intelligible pour tous les votants?»