Collatéral [adj.]: quand l’un tombe, l’autre aussi

(blick.ch/fr)

Le journaliste Malick Reinhard pointe docilement du doigt la maladresse des «valides» face au handicap. Cette semaine, il observe les conséquences que vont avoir les nouvelles mesures 2G et 2G+ pour les personnes vivant grâce à l’assistance de tiers.

C’est l’histoire d’un domino qui tombe, et qui en fait tomber un autre, puis un second, puis encore un, puis un dernier. Puis ça recommence. Cette histoire candide pourrait être la métaphore parfaite du quotidien des personnes en situation de handicap et vivant avec une assistance. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, a dit Lamartine dans Le Lac. Il avait peut-être raison.

Et c’est d’autant plus vrai, vous savez, dans une période pandémique comme celle que nous vivons. Vous me direz: on est tous dans le même bateau, alors arrêtons de nous plaindre. Nous sommes tous dans le même bateau, oui. Mais à des postes différents. En troisième classe, dans les cales, entre les immigrés scandinaves du Titanic et Jack Dawson, les personnes en situation de handicap se retrouvent infiniment impactées par les dernières mesures instaurées par le Conseil fédéral, hier, vendredi, et qui rentreront en vigueur ce lundi.

Être en accord avec la loi et entraver son autonomie

En effet, pour l’association InVIEdual, qui défend les personnes handicapées employeuses de leur propre personnel d’assistance, la situation est grave. Dans des revendications publiées sur son site internet, l’organisme s’inquiète des conséquences que va avoir l’introduction de la 2G (vacciné ou guéri) et de la 2G+ (vacciné ou guéri + testé) dans le maintien de l’autonomie et de la liberté de choix de ces personnes.

Prenons un cas pratique: Malick (prénom issu de l’appropriation culturelle) est atteint d’un handicap qui le contraint à être accompagné par une personne tierce dans l’essentiel de ses gestes. Malick est fêtard (quelle ineptie) et pour se rendre en discothèque, Malick doit présenter un passeport 2G+. Pas de souci, Malick est vacciné. Trois fois, même. Mais alors, quid de son auxiliaire de vie, qui a décidé de ne pas s’y soumettre? Ainsi, parce que l’auxiliaire de vie de Malick n’est pas vacciné, relation de cause à effet, Malick ne pourra pas entrer en discothèque et user, comme tout le monde, du «retour à la normalité» qu’est censée lui offrir la vaccination. Zut.

«Avec les nouvelles mesures, pour les personnes vivant avec une assistance, être en accord avec la loi se résoudrait alors à entraver leur autonomie», commente à chaud Simone Leuenberger, responsable de la communication pour InVIEdual. Un peu comme se tirer une balle dans le pied. Une balle qui empêcherait, toujours selon cette dernière, aux personnes bénéficiaires d’assistance à domicile d’être libres de pouvoir porter leur choix vaccinal, sans pour autant devoir licencier l’auxiliaire réfractaire, et ainsi se voir refuser l’accès à son lieu de travail, de traitements, de loisirs, et tout ce qui s’en suit.

Des prestations d’assistance compromises

Du côté des politiques sociales, pour Sylvie Podio, députée verte au Grand Conseil vaudois et directrice cantonale de la fondation Pro Infirmis: «La situation est très problématique, car, imposer le vaccin et le test pour entrer quelque part équivaut à ce que l’employeur, qui est aussi la personne dépendante, doive obliger son auxiliaire à se soumettre à la mesure, ce qui et dangereux pour son autonomie si l’auxiliaire décide, pour cette raison, de ne plus travailler pour elle.» «C’est contraignant, car il ne s’agit pas de prendre position pour ou contre le certificat Covid, précise encore Julien-Clément Waeber, membre du Comité directeur pour le PS vaudois. Il s’agit de prendre des mesures pour faciliter la vie des personnes et, surtout, de ne pas nous exclure de la vie sociale, car notre accompagnant n’a pas de certificat.»

En marge, avec les mesures instaurées, l’organisation Pro Infirmis, qui est la plus importante en Suisse, ne sera plus en mesure d’assurer les prestations de relèves qu’elle propose aux parents d’enfants en situation de handicap dont l’école serait par exemple placée en quarantaine. Jusqu’ici, les collaborateurs et collaboratrices de la fondation qui font partie d’un groupe à risque étaient déjà en droit de renoncer aux interventions s’ils n’étaient pas vaccinés.

«La situation empêche les personnes en situation de handicap de choisir leur statut vaccinal»

À Köniz, dans la banlieue bernoise, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) reste bien muet sur la problématique. Contactés à plusieurs reprises, ni le Département fédéral de l’intérieur (DFI) ni l’OFSP n’ont donné suite à mes demandes d’interview. Seul le site Internet du Conseil fédéral vient, dans les petites lignes, délégitimer les revendications d’InVIEdual sur le remboursement des frais de tests préventifs pour les auxiliaires non-vaccinés ou non guéris. «Les coûts de délivrance d’un certificat en matière de tests répétitifs sont couverts par le gouvernement fédéral», affirme laconiquement le portail de la Confédération. Rien de plus.

Comme pour consommer l’histoire, la direction vaudoise de Pro Infirmis rappelle toutefois que le problème n’est pas unilatéral: «Nous avons des cas de personnes dépendantes et vulnérables qui décident de refuser dorénavant d’engager du personnel qui n’est pas vacciné. Mais, attention, il arrive aussi que des auxiliaires refusent de travailler pour une personne non-vaccinée.» Ce qui, relation de cause à effet, empêche les personnes en situation de handicap d’être libres de choisir leur statut vaccinal, regrette Simone Leuenberger d’InVIEdual. Aïe. Ça pique. Un peu.