La difficile reconnaissance du sport handicap

Quelques athlètes suisses se font une place sur la scène médiatique et les grandes compétitions internationales sont de plus en plus suivies, mais le financement et le marketing du sport handicap demeurent des combats au quotidien.

Les Championnats du monde d’athlétisme se sont terminés sans que les 19 membres de la délégation suisse aient remporté la moindre médaille. Pour voir le drapeau rouge à croix blanche flotter haut dans le ciel de Londres, il fallait y venir deux semaines auparavant: Marcel Hug y a remporté trois titres, venus compléter un palmarès déjà impressionnant. C’était lors des Mondiaux d’athlétisme handisport. A 31 ans, le Soleurois est l’une des stars de la discipline. Ses exploits ne passent pas inaperçus, mais sa médiatisation demeure cependant toute relative. Elle illustre les décalages qui s’observent dans le milieu du sport handicap.

Reconnu de longue date pour ses bienfaits dans le processus de réadaptation physique, morale et sociale des personnes en situation de handicap, le sport amateur en Suisse se porte plutôt bien. Le paysage associatif s’articule entre deux organisations: l’Association suisse des paraplégiques (ASP), qui regroupe tous les sportifs en chaise roulante, et PluSport, qui rassemble les autres formes de handicap.

Une seule association tire son épingle du jeu

Sur le terrain du sport de haut niveau, les deux structures vivent des réalités bien différentes. Financer et promouvoir le sport de compétition n’est pas une mince affaire, surtout lorsque les sponsors manquent à l’appel. L’ASP tire son épingle du jeu: affiliée au Centre suisse des paraplégiques de Nottwil, elle bénéficie du soutien de ce dernier, car le sport fait partie intégrante des activités de rééducation et de réadaptation.

«Pour l’association, il s’agit d’un vivier de recrutement important pour le sport de haut niveau. Le centre étant unique en Suisse, tous les blessés médullaires y séjournent plus ou moins longtemps», commente Julie Cornaton, doctorante en histoire du sport handicap à l’Université de Lausanne. Sur le plan structurel, les chances sont donc multiples de déceler des talents sportifs comme Marcel Hug, un athlète en chaise roulante.

La situation de PluSport est tout autre. Bien plus fluctuant, son budget se compose des soutiens de l’Office fédéral des assurances sociales et du Sport-Toto, complété par des dons de particuliers. De plus, la promotion de l’association est bien plus difficile en l’absence d’un vivier centralisé de recrutement.

De la rééducation à la compétition

Cette profonde différence institutionnelle entre les athlètes en chaise et les autres ne date pas d’hier. «Dans les années 50 et 60, la pratique compétitive du sport handicap était inconcevable pour beaucoup, tant pour des raisons morales que médicales. On considérait alors que les personnes handicapées avaient déjà vécu suffisamment d’événements difficiles pour qu’elles soient encore mises en confrontation dans un stade ou sur un terrain de sport», éclaire Julie Cornaton.

Progressivement, des velléités compétitrices se sont fait entendre. «La conception réadaptative et anti-compétitrice du sport pour les handicapés, prônée par la Fédération nationale – qui deviendra PluSport – est remise en question, notamment chez les personnes en chaise roulante», reprend la chercheuse. En 1968, quelques protagonistes décident alors de quitter l’organisation pour monter leur propre structure. Sur les bases d’une institution déjà existante réservée aux paraplégiques, l’Association suisse des paraplégiques voit ainsi le jour et s’organise dès ses débuts autour de la compétition.

«Le décalage s’est très vite creusé entre les deux associations, l’ancêtre de PluSport s’étant ouverte bien plus tard à la pratique compétitive. L’ASP bénéficie aujourd’hui d’une plus longue expérience et de structures adaptées à la promotion du sport de haut niveau», complète Julie Cornaton.

Un argumentaire qui évolue

La promotion du sport de haut niveau pour les athlètes handicapés continue pourtant de se heurter à des mentalités paternalistes. «Dans les années 60, les athlètes handicapés qui militaient pour une pratique compétitive étaient généralement les dirigeants de leurs institutions. Ils revendiquaient le fait d’être sportifs avant d’être handicapés. Aujourd’hui, le discours est le même chez les pratiquants, mais on assiste à une inversion des arguments des dirigeants actuels, qui sont bien souvent valides. En matière de recherche de fonds, le levier mobilisé est désormais le handicap, non plus le sport», relève la chercheuse.

Cet argumentaire semble être relativement efficace sur le plan financier, même si les dirigeants l’utilisent un peu par défaut. Mais il est surtout à double tranchant. «Il fait clairement appel au pathos auprès des individus et sociétés contactés. Ces derniers peuvent ainsi redorer leur blason en soutenant une noble cause, mais cela jette par la même occasion une ombre sur la valeur purement sportive des athlètes handicapés. Une des conséquences est que le public ne se déplace que très peu pour assister à des compétitions, car dans cette optique l’accent n’est pas mis sur la qualité des performances ou du spectacle, mais sur le courage des participants.»

Au niveau international, le sport handicap gagne néanmoins depuis quelques années ses lettres de noblesse. En 2012, les Jeux paralympiques de Londres avaient été les plus suivis de l’histoire (2,1 millions de spectateurs). Les récents Championnats du monde d’athlétisme handisport, toujours dans la capitale anglaise, ont confirmé la tendance en écoulant plus de billets que toutes les précédentes éditions.

Source: letemps.ch