Jeux paralympiques: déséquilibres en trompe-l’œil

(lematin.ch)

Les images de PyeongChang montrent des skieurs à la limite de la chute. Mais le sont-ils vraiment?


La Néerlandaise Anna Jochemsen, dans le super-G du super combiné debout. Image: Paul Hanna/Reuters

Les photographes accrédités aux Jeux paralympiques de PyeongChang font chaque jour parvenir des milliers de photos aux rédactions du monde entier. Or que voit-on sur ces images? Des corps en apparence déséquilibrés, comme suspendus dans l’espace et dans le temps, sous la menace permanente de cette chute qui, croit-on, ne manquera pas d’arriver.


L’Américaine Stephanie Jallen dans le géant debout. Image: Joel Marklund/AFP

Mais les apparences, en Corée du Sud comme ailleurs, sont trompeuses. Car l’impression de fragilité qui se dégage de ces corps marqués par la vie ne doit qu’au regard de celui qui les observe. En réalité, les athlètes handisports ne souffrent d’aucun déséquilibre sur un seul ski. «Ils répondent aux mêmes lois que les valides. On déplace la problématique, mais les règles de la gravité sont les mêmes pour tout le monde», rappelle Patrick Flaction, préparateur physique de plusieurs skieurs suisses, dont Lara Gut. Paul Fournier ne peut que donner raison à ce spécialiste des corps en mouvement. Le skieur valaisan, septuple médaillé paralympique aux Jeux de 1984, 1988 et 1992, n’a jamais été confronté à la moindre instabilité après son amputation tibiale. «J’ai naturellement retrouvé un équilibre, dit-il. Si vous êtes juste avec les épaules et l’angulation du corps, le reste suit. On skie un peu comme des valides, en fait. Avec ma prothèse sous ma combinaison, certains ne savent même pas que je suis amputé.»

Comme des superpouvoirs

Flaction explique que les athlètes handisports ont «une adaptation physiologique de leur corps», c’est-à-dire qu’ils «développent leurs qualités en fonction de leur handicap». «On faisait beaucoup d’exercices de coordination, avec des parcours d’agilité», abonde Fournier. «Les propriocepteurs se mettent à travailler beaucoup plus en raison du manque de stabilité consécutif à leur handicap, poursuit Flaction. Ils compensent ce manque avec une supercapacité sur une jambe.» Cette supercapacité, Flaction aimerait beaucoup la voir chez les valides. Il place donc volontairement ses protégés en situation de handisport durant certains exercices. «On s’entraîne beaucoup sur une jambe. Et l’été on fait des séances avec des chaussures de ski afin que les athlètes travaillent la sensibilité du genou.»

Aucune image ne permet de mesurer ce travail de l’ombre, ni ne montre la mécanique des corps et des accessoires. Sinon, le grand public saurait que les skieurs en chaise ont un meilleur équilibre que les valides. D’abord parce que leur centre de gravité est plus bas; ensuite parce qu’ils bénéficient d’amortisseurs sous la chaise afin d’encaisser les secousses.