L’opposition à la surveillance des fraudeurs prend de l’ampleur

(24heures.ch)

Après les Jeunes Verts, des ténors du Parti socialiste et des Verts appellent à soutenir le référendum lancé par des citoyens.


Sibylle Berg, auteure zurichoise et Dimitri Rougy, élu socialiste à Interlaken (BE) sont à l’origine du référendum contre la loi. Image: Adrian Reusser/Keystone

L’indignation des opposants à la loi permettant de surveiller les fraudeurs présumés aux assurances sociales ne faiblit pas. Au contraire. Jeudi, un groupe de citoyens a lancé à Berne un référendum contre la base légale récemment adoptée par le parlement. Ils ont jusqu’au 5 juillet prochain pour récolter 50 000 signatures. Dimanche, plus de 7500 paraphes avaient déjà été recueillis en ligne, via la plateforme WeCollect. Et le comité bénéficie désormais d’importants soutiens politiques.

D’abord circonspects quant à l’opportunité de se lancer dans la bataille, des dirigeants du Parti socialiste (PS) et des Verts, deux formations qui ont voté contre la loi au parlement, ont appelé ces derniers jours à soutenir le référendum. «Nous craignions que ce combat ne soit impossible à gagner et que l’on stigmatise toujours plus les personnes bénéficiaires de l’assurance invalidité en les assimilant à des tricheurs, explique le conseiller national vaudois Roger Nordmann, président du groupe socialiste au parlement. Mais maintenant que le référendum va aboutir, nous allons combattre la loi.» Tant les Verts que le PS se prononceront officiellement lors de leurs assemblées des délégués qui auront lieu respectivement le 5 mai et le 25 juin. Les Jeunes Verts, eux, ont déjà franchi le pas.

Le texte permet aux assurances sociales d’engager des détectives pour traquer les assurés soupçonnés d’abus. Les enquêteurs sont autorisés à effectuer des enregistrements visuels et sonores, mais aussi à se servir d’outils de localisation, par exemple un GPS fixé sur une voiture. À la différence des enregistrements, l’autorisation d’un juge sera nécessaire dans ces cas. Des drones pourraient également être utilisés, à condition qu’ils servent à la géolocalisation et non à une observation. La surveillance ne sera pas limitée à l’espace public, comme les rues ou les parcs. Elle sera effectuée aussi dans des lieux visibles depuis un endroit librement accessible, par exemple un balcon. Le comité citoyen à l’origine du référendum estime que la loi met la population sous suspicion générale et viole gravement la sphère privée.

Sur 1950 enquêtes bouclées en 2016 pour soupçons d’abus dans l’AI uniquement, 270 ont fait l’objet d’une surveillance, selon l’Office fédéral des assurances sociales. Le soupçon s’est confirmé dans 650 cas, dont 180 grâce à une surveillance. Ce qui signifie qu’un tiers des surveillances l’a été à tort. La lutte antifraude a permis d’économiser l’équivalent de 470 rentes entières, soit une baisse des dépenses annuelles de 11,7 millions de francs. La nouvelle loi n’est toutefois pas uniquement valable pour l’AI, mais aussi pour les assurances accidents, maladie et chômage.

Contre la loi

«Une atteinte grave à la sphère privée»


Lisa Mazzone, conseillère nationale (Verts/GE)

Pourquoi êtes-vous contre la loi?
Parce qu’elle constitue une atteinte grave à la sphère privée et aux libertés personnelles. Elle fournit des moyens aux assureurs qui vont au-delà de ceux attribués à la police pour poursuivre des criminels. On donne notamment à des détectives privés la possibilité d’effectuer des enregistrements sonores, d’utiliser des drones et de faire des photos à travers la fenêtre d’un salon ou d’une chambre à coucher, sur un balcon ou dans un jardin.

Ne faut-il pas se donner les moyens de lutter contre les abus pour économiser l’argent du contribuable?
Ce qui est essentiel, c’est que les moyens déployés soient proportionnés et respectent les règles de notre État de droit. Que des observations puissent être mises sur pied sans l’aval d’un juge, c’est extrêmement grave. Cela veut dire que l’on donne quasi le plein pouvoir aux assureurs. Il y a une forme d’acharnement pour lutter contre les supposés fraudeurs aux assurances sociales, alors que nous ne mettons pas le même zèle pour lutter contre les fraudeurs du fisc. Et là les bénéfices seraient autrement plus grands.

Comme certains dirigeants du Parti socialiste (PS), vous vous êtes prononcée en faveur du référendum et les Verts diront le 5 mai s’ils le soutiennent. Le PS était réfractaire dans un premier temps, jugeant qu’y participer offrirait une plateforme aux partisans de la loi pour stigmatiser les rentiers et les handicapés. Et vous?
Cela fait vingt ans que le fonds de commerce de certains partis de droite est de jeter le soupçon sur les rentiers et les handicapés. Référendum ou pas, quelle différence?

Le PS craignait aussi que cette bataille ne soit ingagnable…
On fait de la politique pour des idées, pas uniquement pour gagner. Ce référendum permet de rappeler nos valeurs fondamentales et à la population de se questionner sur la société dans laquelle elle désire vivre. Quand les moyens et la motivation sont là, il devient irresponsable de ne pas s’associer à ce juste combat.

Pour la loi

«Les abus doivent être sanctionnés»


Raymond Clottu, conseiller national (UDC/NE)

Pourquoi êtes-vous en faveur de la loi?
Simplement parce qu’elle est nécessaire. Il y a des abus et ceux qui les commettent doivent être sanctionnés. Des jugements n’ont pas pu avoir lieu parce que nous n’avions pas les bases légales nécessaires.

Les fraudes représentent moins de 0,3% du nombre de bénéficiaires de l’assurance invalidité (AI). A-t-on vraiment besoin d’un tel arsenal de mesures?
Les pertes se chiffrent en dizaines de millions au niveau de l’AI. Mais il n’y a pas que l’AI. Il y a par exemple les prestations complémentaires. Si on prend tout en compte, les montants annuels sont considérables et c’est au détriment des personnes qui en ont réellement besoin. Celui qui n’a rien à se reprocher n’encourt aucun risque. Les agents de l’AI ont bien d’autres chats à fouetter que de commencer à mettre un détective derrière chaque personne qui touche des prestations. Ces mesures ne sont appliquées que dans des cas extrêmes.

Un tiers des surveillances ont été menées à tort en 2016…
Oui, mais encore une fois, si une personne n’a rien à se reprocher, même si elle a été suivie, je crois que ça ne pose aucun problème. La société a changé. Nous sommes dans un monde connecté et il est normal que les outils soient adaptés. Quand il s’agit de publier sa vie privée sur Facebook, ça ne pose de problème à personne.

Des organisations de défense des handicapés et des droits de l’homme jugent que cette loi n’est pas digne d’un État de droit. Que répondez-vous?
Est-ce digne d’un État de droit de laisser des personnes frauder les assurances sociales? Je ne crois pas.

Ne faudrait-il pas faire preuve d’autant de zèle pour traquer la fraude fiscale?
La fraude fiscale est traquée. Nous avons des inspecteurs qui font très bien leur travail. Dans le social, je pense qu’il y a aussi des mesures à prendre. Regardez comme les coûts grimpent! Même si c’est une minorité qui commet des abus, il est important de la sanctionner.