Acouphènes: une app pour les soigner fait débat

(lematin.ch)

De plus en plus de personnes souffrent de sifflements dans les oreilles. Une start-up lance une appli ludique pour les maîtriser. Ça marche?


Avoir les oreilles qui sifflent est très désagréable, voire invalidant. Pas étonnant dès lors que les méthodes pour y remédier foisonnent. Image: iStock

Si on a tous eu, un jour ou l’autre, les oreilles qui sifflent à la sortie d’un concert, les acouphènes peuvent faire vivre un véritable cauchemar à ceux qui en souffrent de manière permanente. En Suisse, une personne sur quatre est atteinte plus ou moins fortement par ce trouble. C’est pour elles qu’une start-up fondée par trois chercheurs français, Immersive Therapy, a imaginé Diapason, une application ludique censée permettre de «reprendre le contrôle» sur ces troubles auditifs.

Grâce à cet outil, le patient peut, dans un premier temps, mesurer la gravité de son problème, via une série de tests. Ensuite, il peut passer au traitement sous forme… de jeux vidéo accompagnés de sons. Pour tout dire, ce sont ces derniers qui constituent le traitement. Les jeux d’arcade sont uniquement là pour capter l’attention du patient. Si le diagnostic est gratuit, il faut compter environ 50 euros par mois (59 fr.) pour la thérapie.

Conditionner le cerveau

Reste la grande question: cette appli, qui a été dévoilée en grande pompe en janvier lors du récent Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas, est-elle bien sérieuse? En fait, elle s’appuie sur une technique développée il y a une quinzaine d’années, la thérapie sonore, avec une composante cognitivo-comportementale. Elle vise non pas à faire disparaître les acouphènes mais à favoriser une habituation du cerveau – et donc du patient – à ces sifflements venus de nulle part.

Les acouphènes sont comparables à une douleur fantôme que l’on perçoit lorsqu’un membre a été coupé. Lors d’une lésion de l’oreille interne (due à l’âge ou à l’exposition à un bruit trop élevé), le cerveau recrée, pour compenser, un signal qui n’a plus lieu d’être et qui se traduit par ces bruits internes. Cela étant, toutes les personnes qui souffrent de ce problème ne sont pas rendues invalides.

Pour en revenir à l’appli Diapason, le son thérapeutique est légèrement plus fort lors de la réussite d’un objectif (par exemple réussir à faire une ligne d Tetris), du coup, l’utilisateur associe inconsciemment sa thérapie sonore à une notion positive.

«Fumisterie»

Verdict? Pour le Pr Jean-Philippe Guyot, médecin-chef de service d’ORL et chirurgie cervico-faciale aux HUG, la réponse est radicale: «C’est de la fumisterie! Annoncer aux gens qu’ils vont reprendre le contrôle sur leurs acouphènes est mensonger. Soyons clairs: si la médecine comprend physiologiquement le fonctionnement des acouphènes, elle est totalement démunie quant aux traitements.

La seule manière qu’on a, pour ne plus souffrir de ces sifflements internes, c’est de s’en détourner, ne plus y penser. Il faut donc le faire de manière passive, par exemple avec la sophrologie, la méditation ou l’hypnose, voire la psychiatrie.»

Vu l’ampleur du phénomène, les thérapies antiacouphène se multiplient. «Il en sort presque une nouvelle chaque jour», ironise le Dr Raphaël Maire, responsable de la consultation d’audiologie et otoneurologie au CHUV, en soulignant que «rien, scientifiquement, ne permet de dire qu’un traitement est meilleur que les autres. Après, certains répondent à une thérapie, d’autres à une autre… Mais on ne peut jamais promettre la disparition totale des acouphènes.»

Les instigateurs de Diapason ne le font pas non plus. «Cette appli n’est pas un miracle, précise ainsi l’un des cofondateurs, Lilian Delaveau. C’est juste une amélioration de thérapie par le son ayant déjà fait preuve d’une certaine efficacité.»