Ils ont saisi la chance de pouvoir se former

(Le Nouvelliste)

Alors que l’Orif fête ses 70 ans et que le centre valaisan célébrera ses 50 ans en 2019, des jeunes qui ont suivi leur apprentissage dans la structure du canton racontent ce qu’ils sont devenus. PAR CHRISTINE.SAVIOZ @LENOUVELLISTE.CH


Rémi Müller, Sion

Il avait accepté de témoigner de sa formation à l’Orif (Organisation romande pour l’intégration et la formation), vingt-deux ans après l’avoir terminée, une attestation fédérale de formation professionnelle en poche. Cependant, dès l’instant où il a appris que l’interview ne serait pas anonyme, il a changé d’avis. «Je n’ai pas trop envie de le dire publiquement. Peu de gens le savent. Et je ne veux pas être étiqueté comme une personne qui a des difficultés cognitives», explique cet ancien apprenti de l’Orif du Valais.

Faire face aux préjugés Cette réaction montre à quel point il est difficile pour certains d’assumer leur apprentissage au centre de Pont-de-la-Morge qui accueille et forme des jeunes, envoyés par l’assurance invalidité, connaissant des difficultés cognitives. «Je comprends que certains n’osent pas le dire, car les gens ont souvent plein de préjugés sur les jeunes de l’Orif; ils les considèrent comme des idiots», confie Rémi Müller. Lui aussi est passé par le centre valaisan en raison de sa dyslexie, mais il l’assume complètement aujourd’hui. Il a accepté d’en parler à l’occasion des septante ans de l’Orif et des cinquante ans du centre valaisan en 2019. «C’est une manière pour moi de rendre hommage au travail qui y est fait. L’Orif a été la chance de ma vie pour m’en sortir.»

La pédagogie de la réussite Rémi Müller image parfaitement la «pédagogie de la réussite» instaurée par le premier directeur du centre, Georgie Lamon et poursuivie aujourd’hui. «Un échec pour moi, c’était un succès remis à plus tard. Il faut croire dans Un échec pour moi, c’était un succès remis à plus tard. Il faut croire dans les capacités de ces jeunes et les aider à avoir confiance en eux. Sur le plan suisse, la structure de l’Orif est devenue un modèle. » les capacités de ces jeunes et les aider à avoir confiance en eux. On a eu beaucoup de liberté de création, d’action et la confiance des autorités. Sur le plan suisse, la structure est devenue un modèle», nous confiait Georgie Lamon, un an avant sa mort dans un attentat à Ouagadougou.

Près de 2000 jeunes accueillis en Valais Lors de la création du centre valaisan en 1969, seuls quinze apprentis suivaient la formation dispensée à l’Orif «Au début, il n’y avait rien ici. Il a fallu tout faire, mais, petit à petit, cela a pris», se réjouissait Georgie Lamon. Jusqu’à présent, près de 2000 jeunes ont passé par le centre de Pont-de-la-Morge. Treize métiers leur sont désormais proposés. «Chaque année, nous accueillons environ soixante nouveaux adolescents», note Eric Morand, directeur de l’Orif valaisan. 80% des jeunes en ressortent avec l’AFP. Entre 5% et 10% décrochent un CFC.

Laisser du temps
En arrivant à l’Orif, les jeunes ont souvent besoin de temps pour retrouver confiance en eux, une étape indispensable pour entamer une formation. A l’exemple de Rémi Müller, muré dans le silence pendant les six premiers mois. «A part bonjour et au revoir, il ne disait rien. Après six mois, il a commencé à se livrer. C’était le temps dont il avait besoin pour voir qu’on croyait en lui et que lui commence à croire en lui», raconte Pierre-André Rossier qui était alors son éducateur référent. Car, en plus de ses échecs scolaires, Rémi Müller avait vécu de grandes difficultés familiales.

«Juste avant de venir à l’Orif, mon père s’est suicidé», confie-t-il. Un drame qui le culpabilisera longtemps. «Du coup, il avait des problèmes de comportement, cachant ses soucis en jouant au bagarreur», ajoute Pierre-André Rossier. Le jour où son éducateur le met face à ses responsabilités, Rémi Müller a le déclic. «J’ai décidé de prendre ma vie en main.» Une fois ses compétences sociales et relationnelles améliorées, l’apprentissage technique s’est bien déroulé. «Tout le monde avait tout de suite remarqué son talent de menuisier. Il a des doigts en or, comme le relève son patron. Mais il fallait qu’il surpasse ses difficultés sociales avant de se lancer dans la formation technique. Il fallait lui laisser le temps de se stabiliser pour qu’il puisse prendre son envol», conclut Pierre-André Rossier.

«Sans l’Orif, c’est certain: je ne vivrai pas une si bonne situation!» Rémi Müller (29 ans), atteint de dyslexie, est enthousiaste lorsqu’il évoque son parcours au sein de la structure valaisanne. Ce Genevois d’origine, établi aujourd’hui en Valais, a non seulement réussi une AFP, mais il a ensuite passé un CFC de menuisier. Il travaille au sein de l’entreprise familiale de Gilles Broccard à Sion depuis sa formation. «J’ai de la chance que le patron m’ait engagé après mon apprentissage. C’est une entreprise qui réalise des meubles en bois, ce qui me plaît beaucoup. En plus, l’ambiance est très familiale. Je m’y sens vraiment bien. Je ne peux qu’être reconnaissant à mes éducateurs, car ce n’était pas gagné d’avance.»


Aurélie Darbellay, Martigny

Sept ans déjà qu’Aurélie Darbellay (26 ans), atteinte d’un handicap auditif, a terminé sa formation d’AFP d’aide-cuisinière à l’Orif. «A la base, ce n’était pas le métier que je voulais faire. J’aurais voulu devenir masseuse. Mais j’aimais déjà bien cuisiner avec ma grand-maman», raconte-t-elle devant la cuisine du cycle d’orientation de Martigny où elle travaille depuis un an. A l’issue de sa formation à l’Orif, elle a trouvé un poste dans un restaurant d’Ovronnaz jusqu’en 2014. «J’ai ensuite fait un an de chômage avant d’arriver ici.»

La cuisine du CO martignerain fait partie d’un atelier de la fondation Emera qui s’occupe des personnes en situation de handicap. Un maître socioprofessionnel est ainsi présent en cuisine pour accompagner les employés. De quoi rassurer Aurélie Darbellay. «J’aime bien travailler ici, car il y a une bonne ambiance et il n’y a pas trop de stress et de bruit, ce qui est pénible à supporter avec mes appareils auditifs. Ici, je fais par exemple des découpages de légumes et m’occupe de la mise en place pour les 110 élèves qui viennent manger à midi. Les horaires me conviennent bien aussi.» Aurélie Darbellay confie se sentir sereine désormais face à son avenir professionnel. «Oui, vraiment, c’est un travail qui me va bien.»


Laurane Rappaz, Monthey

Dans la buanderie au sous-sol de la Castalie à Monthey, Laurane Rappaz (26 ans) rayonne. «Je ne roule pas sur l’or, mais je fais ce que j’aime», confie cette employée de l’intendance, entre deux piles de linge. En 2011, la jeune femme sort de l’Orif avec une attestation de formation professionnelle (AFP) en poche. Connaissant des difficultés cognitives, Laurane Rappaz a été placée par l’Al au sein de la structure valaisanne en 2008. «Au début, cela me faisait bizarre d’être à l’Orif, mais c’était une chance finalement, car c’est là que j’appris à me prendre en main.»

Dans ses trois ans passés à l’Orif, outre la formation technique de son métier, elle a aussi pu développer des compétences sociales. «Devoir vivre loin de mes parents n’était pas facile à gérer au début. Mais grâce à cela, j’ai appris à tenir un appartement et à cuisiner les repas.» Laurane Rappaz a cependant dû faire le deuil
de la profession de ses rêves, soit un travail dans le milieu de la petite enfance. «Ce n’était pas un métier que l’on pouvait apprendre à l’Orif et qui était dans mes compétences. Mais, lorsque j’ai découvert l’intendance, cela m’a plu. Je vis bien.

L’Orif en chiffres

l’Organisation romande pour l’intégration et la formation professionnelle des personnes en difficulté – fête cette année ses 70 ans. Elle est née en 1948 dans le canton de Vaud. Un Valaisan, Dominique Rast, est à la tête de la direction générale.
La structure valaisanne a vu le jour en 1969. Georgie Lamon en a été le premier directeur; il y a œuvré pendant trente ans.
Aujourd’hui, l’Orif compte dix sites de formation professionnelle spécialisée en Romandie, dont des centres pour les adultes et d’autres pour les jeunes. La structure valaisanne forme des jeunes.