«On a tous un côté schizophrène en nous»

(Le Quotidien Jurassien)


Un caisson de simulation permet de ressentir par le son et l’image l’angoisse et la sensation de persécution que peut ressentir un schizophrène lors d’une phase crise aiguë / Photo AD.

Vivre la schizophrénie pour de vrai, c’est ce qui est proposé jusqu’à ce soir à Porrentruy, grâce à un caisson de simulation. De quoi mieux comprendre cette maladie qui isole alors qu’une personne sur cent a déjà connu les troubles qu’elle provoque.

Parmi les intervenants de ces Journées francophones de la schizophrénie, Luis Huerres, lui-même diagnostiqué il y a vingt ans. Trois minutes quarante-six de musique assourdissante, un marteau-piqueur qui semble n’en plus finir de creuser le sol, des gens qui vous fixent et cette voix intérieure, omniprésente, qui rabâche invariablement «T’es nul»… Au sortir du caisson de simulation installé toute la semaine au centre Esplanade de Porrentruy, les impressions sont tranchées: «C’est insupportable!» estiment Awin et Johanna, deux étudiantes.

Un mot qui sert d’insulte
Comme une centaine de personnes depuis samedi passé, elles se sont toutes les deux immergées dans l’esprit d’une personne atteinte de troubles psychiques lors d’une phase de crise aiguë. Les jeunes femmes voulaient en savoir davantage sur cette maladie. Johanna aura été surprise d’apprendre que la schizophrénie concerne 84 000 personnes en Suisse. «Je pensais aussi que c’était uniquement génétique, pas que cela pouvait aussi arriver du jour au lendemain», poursuit-elle. Et de déplorer après coup: «Les gens utilisent souvent le terme de schizophrène comme insulte, mais sans savoir finalement de quoi il ressort.»

Martine, elle, est assistante sociale. Elle a déjà été amenée à être en contact avec des personnes schizophrènes, qui lui ont par exemple dit se sentir persécutées en croisant un véhicule sur la route. Le caisson de simulation lui a permis «de se rendre vraiment compte de ce ressenti dont ils me parlaient», explique-t-elle. Elle se rend compte désormais à quel point cela peut être dur au quotidien pour un schizophrène. «Pour eux, sortir de chez eux est un combat. Et c’est difficile à expliquer aux autres.» «En tant que schizophrène, ce qui m’a le plus marqué dans le film projeté dans le caisson, c’est l’interprétation que l’on fait des gens croisés dans la rue, intervient Luis Huerres, le président de l’Association jurassienne d’accueil et d’action psychiatrique (Ajaap). On les voit sourire, mais on le prend comme une attaque.» Toute cette semaine, il a passé ses journées à aller à la rencontre du public à Porrentruy.

Planer, c’est déjà avoir des troubles psychiques C’est sa consommation de stupéfiants qui a déclenché sa maladie. Comme pour 8o% des personnes diagnostiquées schizophrènes, indique Luis Huerres. Les hallucinations, même furtives, dont sont pris certains consommateurs de stupéfiants sont déjà considérées comme des troubles schizophrènes. «Une personne sur 100 dans le monde passe par des moments de schizophrénie dans sa vie», révèle Luis Huerres.

De quoi faire écho à cette phrase laissée par une dame dans le livre d’or mis à disposition du public, invité après être passé par le caisson à discuter avec les intervenants sur place: «On a finalement tous un côté schizophrène qui sommeille en nous.»

Immersion possible jusqu’à ce soir
Les 1.5e journées francophones de la schizophrénie ont été mis sur pied par A3 Jura – Association de familles et amis de personnes souffrant de maladie psychique, Pro Infirmis, Caritas, Pinos, le Rencart, l’Association jurassienne d’accueil et d’action psychiatrique, et les institutions psychiatriques régionales notamment. Divers événements ont été organisés dans le canton. À Porrentruy, une vingtaine d’intervenants, membres d’associations ou professionnels de la santé, se sont relayés au centre Esplanade pour répondre au public. Certes, il y a eu du monde, mais finalement peu de gens curieux, regrette Catherine Corbat, d’A3 Jura. «Nous avons surtout accueilli des gens qui ont dans leur entourage des personnes atteintes de schizophrénie.» Il est encore possible de tester le caisson de simulation aujourd’hui samedi, au centre Esplanade.AD

«J’assume ma maladie, ce n’est pas une honte»
A bientôt 37 ans, Luis Huerres est né à Andorre et est arrivé à Courroux en 1989. Il a été diagnostiqué schizophrène paranoïde il y a 20 ans. «J’avais une phobie sociale, je m’isolais, je dormais le jour et vivais la nuit, je mangeais toujours la même chose au point d’en avoir des brûlures d’estomac, je ne me rasais et ne me lavais plus», explique-t-il. Et puis il y a eu les hallucinations. Avant de rejoindre la Fondation Pinos, à Courtemaîche, où il vit depuis 2011, il a fait de nombreux séjours en établissements psychiatriques, de Bellelay au foyer Décours de Chevenez, en passant par Saint-Prex (VD) ou Delémont, alternant avec des périodes où il vivait en autonomie. «Là, c’était le bordel, avoue-t-il. Je me couchais à 7 heures du matin. Je buvais jusqu’à 16 boissons énergisantes par jour.» Une fois, il a calculé avoir dormi en tout et pour tout 3o minutes en l’espace de 36 h. De tout temps, il a pu compter sur le soutien de sa famille. «Elle n’a pas souffert à cause de moi, mais avec moi», explique-t-il. S’il s’est proposé pour participer à cette semaine de sensibilisation à Porrentruy, c’est, dit-il, parce que cela le pousse à aller de l’avant. «Aujourd’hui, j’assume ma maladie. Je suis schizophrène, ce n’est pas une honte.» On ne peut guérir totalement de la maladie, indique-t-il, mais un traitement médicamenteux et un suivi
psychiatrique permettent de gérer les troubles qui en découlent.AD