« Ricochet » mélange artistes classiques et handicapés

(Bilan.ch)

Petite pause. Directrice du Centre d’art contemporain d’Yverdon (ou CACY) depuis son ouverture en juin 2013, Karine Tissot bénéficie d’une bourse lui permettant de passer six mois en Grande-Bretagne. Vous me direz que cela ne se voit pas. Installée à l’Est de Londres, la Genevoise vient de s’occuper des Suisses à la foire ArtParis. Je vois sans cesse la signature de cette suractive imprimée quelque part. Mais c’est comme ça.

Il n’était bien entendu pas question de mettre la clé sous le paillasson yverdonois pendant ce temps. Le monde continue de tourner, même s’il le fait parfois mal, et par conséquent les expositions de s’organiser. Karine a donc confié la maison en son absence à l’association Out of the Box (pourquoi encore des mots anglais en art contemporain?). Elle présente depuis début mars «Ricochet». Le terme n’apparaît pas innocent. Il donne l’idée de rebonds successifs, même si la pierre finit toujours au fond de l’eau. Out of the Box se veut inclusif, pour employer la terminologie à la mode. L’entité propose donc à Genève, la mieux pensante des villes suisses, une biennale sur le thème de l’intégration des handicapés. Il y en a eu une en 2017. J’avouerai que je ne m’en étais pas aperçu.


Photo (DR): L’affiche de «Ricochet»

Treize créateurs invités

Treize créateurs «travaillant de par leur handicap en marge des circuits officiels de l’art contemporain», issus de différents cantons, se sont donc vus conviés à la fête. Ils ne sont pas seuls. L’idée était de les confronter, mais sans les opposer bien sûr, aux artistes collectionnés depuis 1980 par le Fonds visuel de la Ville d’Yverdon-les-Bains, ou FAV. Essentiellement d’ici, ces derniers vont de Frédéric Clot à Hadrien Dussoix en passant par Sophie Bouvier Ausländer et Sylvie Fleury. On verrait ce que le mélangea donne. Sans appuyer sur le commentaire. Une chose qui a fait dire à un journaliste que «Ricochet» se visitait «comme n’importe quelle autre exposition». C’est mon avis moins une critique qu’une constatation. Effectivement, seule les trois lettres FAV apposés sur certaines étiquettes font la différence. C’est ce que l’on appelle de l’intégration.

Plusieurs facteurs permettent d’opérer la chose en ce début du XXIe siècle. D’abord, la création n’est plus basée sur un savoir-faire, comme c’était le cas au temps des académies. Il s’agit d’une expression, généralement basée sur une idée. D’où le succès (du moins intellectuel) du conceptuel. Des maladresses se soient d’autant mieux tolérées que tout semble permis de nos jours. Il y a ensuite la montée en considération de l’art brut. Elle a commencé à se faire sentir dans les années 1950 pour éclater au grand jour avec la constitution de musées spécifiques. Je rappelle que le plus important d’entre eux a ouvert à Lausanne en 1974. A quelques kilomètres d’Yverdon, par conséquent. «Ricochet» est donc loin d’arriver en terrain vierge.

Révolution morale

A cela s’ajoute une révolution morale. On en arrive au point où les handicaps, qui passaient traditionnellement pour des défauts ou des manques, se voient presque considérés presque comme une chance. Du moins sur le plan culturel. Il me suffit à cet égard de cité le dépliant de «Ricochet». A la rubrique Fête de la Danse, qui se déroulera le 4 mai, je lis ceci: «Considérer le handicap, ou toute condition jugée singulière, comme valeur ajoutée à la création artistique: voilà le défi des arts inclusifs.» Nous sommes ici dans la bonne pensée actuelle, celle qui ne tolère aucune contestation. De ce qu’on eut jadis considéré comme «le sauvage», nous attendons aujourd’hui parallèlement des choses à apprendre. Mettons-nous donc à son écoute. Il détiendrait une vérité que nous aurions perdue. C’est nous les infirmes.

La Ville de Genève est devenue très forte pour nous faire quotidiennement de la morale. Il suffit de lire les affiches apposées sur la voie publique. La Municipalité est dans le Bien. Nous restons, pauvre population, souvent dans le Mal. Il faut nous faire la leçon. Notons que cela enrichit à l’occasion notre vocabulaire. Peu de gens savaient avant une campagne pour l’égalité ce que signifiait l’adjectif «épicène». Dans cette logique, «Ricochet» ne pouvait pas s’en tenir à la seule assimilation. Il fallait aller plus loin. L’exposition a donc été vue par des femmes migrantes (des hommes auraient sans doute paru moins efficaces en termes de communication). Elles ont fait des commentaires reproduits sur de petits tableaux noirs affichés dans une salle. Dans le catéchisme, c’est comme apposer une seconde couche.

Pensée caritative?

Le résultat, à mon avis sans doute mal-pensant, est d’amoindrir paradoxalement le résultat. Il y a en effet des choses très bien, et ce des deux côtés. Le professionnel et l’autre. Alors pourquoi s’arque-bouter sur ce qui demeure tout de même une pensée caritative? Je le crois d’autant plus inutile que l’accrochage s’est vu conçu par rapprochements thématiques. Prenons le sexe, bien entendu devenu ici «le genre». Il y a une toile dégoulinante d’Alain Huck première manière et une céramique de François Ruegg ressemblant à un gros préservatif à côté des poteries «zizis» de l’invitée Sabrina Renlund. Bien malin qui pourrait dire ici qui est le handicapé. Idem pour les cercles colorés de Gilles Porret, qui se retrouvent ici à côté de ceux de la «brute» de Silivia von Niederhäusern. Je pourrais continuer longtemps de la sorte. Alors pourquoi toujours vouloir se rendre sans cesse admirable à force de grandeur d’âme inclusive?

N.B. Je signale que le Zentrum Paul Klee de Berne s’éloigne pour le moins de son sujet en ce moment. Jusqu’au 13 mai, il propose «Touchdown», une exposition «sur et avec» des personnes atteintes de la Trisomie 21.

Pratique

«Ricochet», Centre d’art contemporain ou CACY, place Pestalozzi, Yverdon-les-Bains, jusqu’au 27 mai. Tél. 024 423 63 80, site www.centre-art-yverdon.ch Ouvert du mercredi au dimanche de 12h à 18h.