Au-delà du handicap

(Le Temps)

Anne Othenin-Girard: Au-delà du handicap

Derrière sa silhouette boitillante se cache une femme prête à déplacer des montagnes pour mener à bien ses projets. Sa philosophie? Là où son handicap l’arrête, elle cherche un moyen de le dépasser. Avec succès

Sur le ton de la confidence, Anne Othenin-Girard avoue qu’elle n’a «pas toujours filé droit». L’esprit rebelle, elle ne termine pas son bac, préfère devenir marchande ambulante et voyager sur les sentiers d’Asie. A 27 ans, elle obtient son diplôme de maîtresse d’école enfantine, mais n’enseignera jamais. «C’est un crève-cœur qui me fera toujours mal. Au fond de moi, je suis maîtresse d’école enfantine, j’aime apprendre par le jeu», raconte-t-elle avec un voile d’émotion dans la voix.

Le 8 juillet 1988, Anne fête son diplôme fraîchement acquis avec des copains. Ils vont jouer aux machines à sous et boire quelques verres. Un peu trop d’ailleurs. Sur le retour, la voiture s’encastre dans un mur à 180 km/h. Le choc lui arrache la jambe droite, et lui blesse sérieusement la gauche. «Quand je me suis réveillée trois jours plus tard à l’hôpital, j’ai trouvé 121 pièces de 1 franc dans ma poche. J’avais donc gagné… mais pas tout», sourit-elle. Pendant deux mois, les médecins de différents établissements hospitaliers tentent de sauver sa jambe de l’amputation, sans succès.

J’étais moins handicapée que ce que je voulais faire croire… ou du moins que ce que ma tête avait décidé. J’ai donc pesé le pour et le contre, et j’ai choisi d’aller de l’avant.

Les longs mois d’hospitalisation et de rééducation sont durs. Elle se révolte. En évoquant cette période de sa vie, ses yeux s’assombrissent, son regard se détourne avec pudeur. Elle montre son ventre pour expliquer timidement qu’une part d’émotions non digérées est encore logée dans ses tripes. «Un jour, peut-être que je raconterai tout ça.» Anne, rebelle mais fragile. Elle nous glisse quand même qu’en 1992, elle se retrouve une nouvelle fois à l’hôpital à la suite d’un autre accident de voiture, dont elle est responsable cette fois. «J’avais bu trop d’alcool, c’était une période difficile», avoue-t-elle.

Dépasser un statut revendiqué

«Je revendiquais clairement mon statut de «pauvre handicapée». De victime d’un accident de voiture. Les médecins m’avaient dit que je ne marcherais probablement jamais sans béquilles, alors je suis restée là-dessus.» En 1992, elle ouvre les yeux. Réalise ce qu’elle est devenue. Et sort de sa révolte. «J’étais moins handicapée que ce que je voulais faire croire… ou du moins que ce que ma tête avait décidé. J’ai donc pesé le pour et le contre, et j’ai choisi d’aller de l’avant, de voir ce dont j’étais capable.»

Elle commence alors le tennis de table. Un électrochoc. «Pour jouer, garder la deuxième béquille n’était pas drôle… je l’ai vite lâchée! Je suis tombée, mais c’est là que j’ai fait connaissance avec mes jambes. J’ai pris conscience de la différence entre mon esprit et mes capacités. Quand j’allais chercher une balle, ma tête me disait que je ne pouvais pas… alors que j’étais déjà en train de le faire!»

Promotion du sport-handicap

Anne part alors à la recherche de son véritable potentiel. Un peu casse-cou dans l’âme, elle fait tomber les barrières les unes après les autres. Elle se met au ski alpin, «pour pouvoir faire du parapente debout», précise-t-elle. Puis au ski nautique, ce qui la mène aux Championnats du monde en 1999. Elle rafle l’argent en figures, le bronze en slalom. Entre-temps, elle commence la voile, dont elle rêve depuis son enfance au bord du lac de Neuchâtel. Sa passion la mène aux Jeux paralympiques de Sydney en 2000. Le récit de ses exploits, de ses blessures aussi, coule au milieu des nombreuses activités sportives qu’elle découvre au fil des ans.

En 2000, Anne est clouée à terre après une opération des ligaments croisés et du ménisque. Elle s’ennuie. Elle ouvre alors un site internet avec un ami pour faire la promotion du sport-handicap. «En Suisse, il y a beaucoup d’associations. Mais si on s’intéresse à un sport en particulier, difficile de trouver un endroit pour le pratiquer. C’est quelque chose qui manquait vraiment à l’époque, d’autant plus qu’il n’y avait pas Google.» Elle conçoit donc Handisport.ch comme un portail des sports adaptés selon les cantons. Du «fait maison» comme elle le précise avec humilité, mais qui comble un vide certain auprès du public concerné.

S’engager pour les autres

Anne s’engage donc depuis longtemps pour autrui. Elle s’anime sur sa chaise lorsqu’elle évoque les multiples activités qu’elle a partagées avec des amis, valides ou non. Leurs retours positifs la nourrissent et la poussent à s’investir encore plus pour de nouveaux projets, quitte à s’oublier elle-même. Participant depuis 2013 à l’événement caritatif de paddle Ride for the cause à Clarens, elle veut rendre l’édition 2018 accessible aux personnes en situation de handicap. Elle met ainsi toute son énergie à trouver des aides et partenaires pour qu’une rampe d’accès à l’eau sécurisée soit construite.

Oser essayer, dépasser ses limites en découvrant le handi-paddle, voilà le message qu’elle veut transmettre. «La récompense est toujours là. C’est ce que j’aime avec la voile. Je laisse tout à terre, ma prothèse, ma chaise, et je largue les amarres. Le paddle, c’est la même chose. Ce n’est pas toujours facile, mais cela permet de faire autre chose de son statut d’handicapé qui nous habite beaucoup d’heures par jour… et beaucoup de jours par semaine», ajoute-t-elle, l’œil malicieux.