A l’étranger pour s’ouvrir au monde

(Le Courrier Genève)

Les voyages à l’étranger ont la cote parmi les vacanciers en situation de handicap. Cap Loisirs explique pourquoi ils sont nécessaires. La Confédération en juge autrement.


Photo tirée de l’exposition du photographe Jean-Michel Etchemaïté consacrée aux activités de loisirs de Cap Loisirs. JM ETCHEMAÏTÉ

 

Dominique Hartmann

Genève
La plupart des organismes proposant des vacances pour les personnes avec handicap concoctent des offres l’étranger. Celles-ci sont plébiscitées, malgré la complexité que peut représenter le trajet lui-même ou les difficultés linguistiques. Cap Loisirs explique leur intérêt et comment le changement légal a eu une influence sur son activité. La fondation accompagne depuis 1980, à Genève, les loisirs de personnes avec une déficience intellectuelle.

«Nous vivons dans un monde qui n’est plus seulement local. Pour faire partie intégrante de la société, les personnes handicapées ont besoin de partager certains savoirs avec d’autres, et de ne pas rester enfermées dans leur monde», indique Bas Verheij, responsable des camps d’été à Cap Loisirs pour les personnes à besoins relativement restreints. Or l’abstraction est très difficile pour qui souffrent de déficiences mentales. «C’est sensoriellement qu’elles peuvent s’ouvrir à d’autre réalités, et donc enrichir leurs compétences.» Regarder des photos de la Tour Eiffel ne leur dira rien. II se souvient aussi de la prise de conscience de certains participants en voyage au Burkina Faso, où ils découvrent la rareté de l’eau. «Cette dimension écologique est devenue concrète.»

Le choix des destinations effectué par l’organisme genevois n’obéit pas au hasard: il vise à la fois à enrichir le quotidien des personnes en situation de handicap et à permettre des rencontres au-delà du personnel encadrant. Un voyage en Sicile a ainsi cherché à rencontrer la culture d’origine de l’un des moniteurs réguliers de Cap Loisirs, de même que sa famille. Au Burkina Faso, les participants ont exploré le monde des masques renvoyant aux masques du Lôtschental suisse. «A l’étranger, nous sommes tous un peu en situation de handicap. Du coup, le leur perd en importance», ajoute l’animateur.

Limitation de l’offre

«Voyager à l’étranger favorise à la fois le dépaysement et l’ouverture d’esprit, tout le monde le sait. Pourquoi les personnes handicapées en seraient-elles privées?» Le risque est pourtant réel. Depuis 2001, ces offres-là ne sont plus subventionnées par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). Rolf Camenzind, responsable de la communication, rappelle que selon cette modification du Règlement sur l’assurance-invalidité, seules les activités «fournies en Suisse, de manière appropriée et économique» sont soutenues par la Confédération. En sous-main, l’idée que les subventions octroyées doivent être réengagées dans l’économie suisse. Comme l’explique Julien Garda, directeur de Cap Loisirs, ce changement a impliqué un surcoût, et un grand travail de recherche pour découvrir de nouveaux lieux adaptés. «Genève manque cruellement de tels lieux, la France voisine nous offrait des alternatives.»

Si l’intégration des personnes en situation de handicap ne lui semble pas forcément prétéritée par ce changement, l’ampleur et la qualité des offres en pâtit. Faire du chien de traîneau est abordable en France, pas en Suisse. «Les voyages à l’étranger ne représentent plus que 2 à 3% de notre offre», déplore Julien Garda. Dans un canton enclavé comme Genève, «ne pas pouvoir franchir la frontière empêche même de découvrir son environnement proche», ajoute Bas Verheij. La montagne, destination complexe Les déficiences mentales affectent souvent la coordination des mouvements, ou l’équilibre, rappelle aussi Bas Verheij: pour cette raison, la montagne – principal attrait suisse – ne figure pas forcément parmi les choix privilégiés des vacanciers.

Pour proposer des vacances à l’étranger, les organismes d’aide aux personnes handicapées ont eu deux possibilités: trouver davantage de soutiens privés ou augmenter le prix des voyages. Ce qui se heurte à une réalité crue: la rente invalidité maximale s’élève à 2350 francs par mois. Cap Loisirs a également dû réduire sa masse salariale pour compenser les surcoûts liés à ce changement de loi. Pour continuer à offrir l’accès à la mer à son public, notamment aux enfants, la fondation met désormais à profit la subvention cantonale.

Le handicap ne prend pas de vacances.

Alors que le but des congés consiste à laisser derrière soi les soucis du quotidien, les préparatifs peuvent être une source de stress pour les personnes en situation de handicap et leurs proches. Comment les vacances sont-elles abordées et préparées? Comment faire tomber les barrières comportementales ou environnementales et garantir une offre réellement inclusive? Le temps d’un été, Le Courrier se penche sur la question. CO

Accompagnante, l’occasion d’ «incroyables moments de partage» Toutes ces offres de loisirs nécessitent un accompagnement soutenu, qui varie en fonction des besoins spécifiques des participants. Melina Brede accompagne les activités de Cap Loisirs depuis 2002, à côté d’un emploi en médiation culturelle. C’est comme musicienne qu’elle a été engagée à l’époque, l’objectif de Cap Loisirs étant de nourrir les activités de compétences multiples. Le simple boulot d’étudiante en anthropologie deviendra un engagement au long cours. Notamment parce que «Cap Loisirs a su créer un esprit de famille. Les départs en camp sont toujours très joyeux, beaucoup se connaissent.»

Les débuts n’ont pourtant pas été seulement faciles: «Je ne n’étais pas du tout familière du handicap qui m’apparaissait comme un monde inconnu et un peu effrayant dont je n’avais pas les clés. Saurais-je gérer une crise d’épilepsie, côtoyer au quotidien des personnes ayant des handicaps tous différents?» Elle appréhendait les week-ends en conséquence et en revenait… ravie: «Derrière le handicap, il y a surtout différents êtres humains, chacun avec sa personnalité et son caractère propre, dotés d’une grande capacité à la spontanéité, bouleversant les normes, faisant souffler de l’air frais autour d’eux.» Le besoin de faire un travail utile n’explique pas à lui seul seize ans d’engagement : «J’y reçois aussi tant d’énergie, et j’y vis d’incroyables moments de partage.» Il s’agit aussi de permettre à des personnes d’accéder à davantage d’autonomie pour qui certaines situations sont difficiles.

Ces vacances ne servent pas seulement le besoin d’évasion. «Nombre d’entre elles ont un rythme très soutenu, rappelle Melina Brede. Leurs semaines sont très réglées, elles se lèvent tôt et travaillent en atelier protégé toute la journée.» Les soins spécifiques à chaque handicap alourdissent encore ce quotidien. «Du coup, elles sont aussi demandeuses de simples grasses matinées», remarque l’accompagnante. Avec un handicap, l’accès au délassement, qui permet à tout un chacun de reprendre souffle dans une semaine laborieuse, est plus aléatoire. Cap Loisirs organise donc des activités en semaine, sous la forme de cours (piscine, rock) d’ateliers créatifs ou de «mercredis aérés».

Les activités imaginées par la fondation visent particulièrement l’inclusion. «Les participants aiment fréquenter les mêmes lieux que les autres, ils ont d’ailleurs le contact très facile. Bien sûr, certains ont davantage d’inhibition que d’autres mais ils sont souvent les premiers sur la piste de danse et ils boostent l’ambiance, se réjouit Melina Brede. «Quand ils s’en vont, certains clients regrettent de les voir partir et les encouragent à revenir.» Si les lieux sollicités se montrent généralement très accueillants, tous leurs usagers n’ont pas la même ouverture d’esprit. L’accompagnante a encore en tête un commentaire désobligeant lâché par un fêtard: «Y a vraiment de tout, ici…» DHN