Les détectives sont de retour pour garder à l’œil les assurés

(Le Nouvelliste)

Les assureurs auront, à nouveau, la possibilité d’engager des privés pour pister les fraudeurs potentiels.

Par Christiane Imsand, Berne
Le recours aux réseaux sociaux a facilité la récolte des signatures, mais réussir à convaincre la majorité des électeurs, c’est une autre paire de manches. Les arguments du comité référendaire contre la loi sur la surveillance des assurés n’ont pas fait mouche.


Les détectives sont de retour pour garder à l’œil les assurés

 

Le texte a été approuvé par 64,7% des électeurs et par tous les cantons, à l’exception de Genève et du Jura. Les assureurs pourront donc à nouveau recourir à des détectives privés pour surveiller les fraudeurs potentiels.

Ils n’auront besoin de l’autorisation d’un juge que s’ils veulent recourir à des instruments de géolocalisation comme des traceurs GPS.

Le verdict de Strasbourg

Bien qu’on ne puisse pas parler de Rôstigraben, on constate que l’approbation est moins enthousiaste dans les cantons romands. Les Vaudois et les Neuchâtelois ont dit oui à près de 52%. Les Fribourgeois et les Valaisans sont plus proches de la moyenne suisse avec 60%. « II n’est pas exclu qu’un nouveau cas remonte à Strasbourg. »

 Lisa Mazzone Vice -Président des Verts

Le conseiller national Jean-François Rime (UDC/FR), qui est, par ailleurs, président de l’Union suisse des arts et métiers (Usam), salue le résultat. «Cela confirme le bon sens de la population. Les abus sont peu nombreux, mais il faut pouvoir agir lorsque l’on a affaire à des cas suspects. La problématique de la sphère privée a été largement exagérée. On ne pourra pas filmer dans les chambres à coucher».

L’UDC fribourgeois ne manque pas l’occasion de faire le lien avec l’initiative contre les juges étrangers. Selon lui, «ce vote montre aussi que les Suisses ne sont pas disposés à suivre toutes les décisions des juges de Strasbourg». Car tout est parti d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH), tombé en 2016. Sans se prononcer sur le fond, la Cour a jugé que la base légale pour la surveillance secrète des assurés n’était pas suffisante. Le Parlement a aussitôt décidé de pallier cette lacune. Pour le chef du Département de l’intérieur, Alain Berset, la nouvelle loi a le mérite de mettre en place des règles plus claires que celles qui prévalaient avant 2016.

Des garanties à respecter

Les principaux concernés sont les bénéficiaires de l’assurance accident et de l’assurance invalidité. Déçue par le résultat du scrutin, l’association Inclusion handicap dénonce une campagne qui a stigmatisé les bénéficiaires de l’AI. «Sous couvert de la fraude aux assurances, c’est maintenant l’abus de la part des assureurs qui sera favorisé», a-t-elle réagi hier.

Pour les socialistes, les Verts et les syndicats, qui se sont associés au référendum lancé par un comité de citoyens, il faut maintenant veiller à une application mesurée de la loi. «Cela valait la peine de mener le débat, on se rappellera des garanties données pendant la campagne», souligne la vice-présidente des Verts Lisa Mazzone. «Nous nous assurerons que les détectives, comme promis, ne puissent pas procéder à des observations à l’intérieur des habitations. Il n’est pas exclu qu’un nouveau cas remonte à Strasbourg».

Pression sur la Suva

De leur côté, les syndicats mettent la pression sur l’assurance accidents Suva. Ils attendent d’elle un comportement exemplaire du fait de l’implication des partenaires sociaux dans son conseil. Il reste encore un point à régler par la justice: le comité référendaire a porté plainte, en juin, contre l’information «tendancieuse» des pouvoirs publics. Par la suite, la Chancellerie a reconnu une erreur dans un tableau figurant dans la brochure du Conseil fédéral. Au vu de la netteté du vote, il est cependant peu probable que le Tribunal fédéral donne suite à la plainte

Commentaire Christiane Imsand

Pour les uns, il en allait de la crédibilité des assurances sociales, pour les autres, de la protection de la sphère privée. Les premiers l’ont emporté, car la loi était formulée de telle sorte qu’un vote négatif aurait été perçu comme une démission face aux fraudeurs. Or, les abus existent et ce n’est pas parce qu’ils sont peu nombreux qu’il faut s’empêcher de les combattre.

Si le pouvoir de police conféré aux assureurs est néanmoins une source d’inquiétude, c’est parce qu’il s’inscrit dans une tendance toujours plus forte à réduire le cadre de la sphère privée. Non pas qu’il faille avoir peur de caméras dans sa chambre à coucher. La jurisprudence du Tribunal fédéral est suffisamment claire pour éviter cette dérive. Mais il y a bien d’autres façons de savoir ce que fait le simple citoyen. Le téléphone portable permet de tracer son itinéraire et de connaître ses relations, ses cartes de crédit d’analyser ses dépenses et bientôt sa carte d’assuré permettra de tout savoir sur son état de santé.

A chaque autre innovation, on nous assure que tout est verrouillé, mais dès lors que des clés d’accès existent, on peut être sûr qu’elles seront utilisées un jour ou l’autre, notamment au nom de la sécurité. Cela s’est vérifié dans divers pays dans le contexte de la lutte contre le terrorisme.

Cette évolution mérite qu’on soit attentif à toute réforme susceptible de réduire encore plus la sphère privée. Pas par paranoïa, mais pour éviter un excès de confiance contre-productif.