«Je m’inquiète pour l’avenir de mon fils»

(Migros-Magazine Gesamt)

Pour le bien de leur enfant en situation de handicap, certains parents font le choix de se passer des institutions spécialisées pour s’en occuper à la maison.Un choix courageux mais difficile. Une maman raconte son combat quotidien.
Texte: Véronique Kipfer Photos: Mathieu Rod

J’ai deux enfants: une fille de 31 ans et un fils de 27 ans, qui aune déficience intellectuelle et souffre d’épilepsie. À l’époque, j’étais mariée, et c’est mon mari qui s’est occupé de notre fils. Mais on s’est séparés en 95. Je travaillais déjà à plein temps et j’ai été obligée de chercher une solution.

Lorsqu’un enfant en situation de handicap est encore mineur, la situation est relativement simple à gérer pour les parents, car on a accès sans problème à des aides et des soins,comme l’ergothérapie et la physiothérapie. Mais dès que l’enfant devient adulte, il n’a plus les mêmes droits. Ses besoins restent toutefois presque identiques et il faut alors commencer à se battre pour avoir droit aux services précédents.

Lorsque mon fils avait 10 ans, il a commencé une école spécialisée dans une grande institution. J’ai alors pensé que cette dernière gardait ses résidents à long terme. Mais je me rappelle que, lors d’une discussion de routine, alors que Jonathan »- avait environ 16 ans, on m’a dit qu’il ne pourrait pas rester après ses 18 ans. J’ai compris que certaines institutions étaient destinées à l’accueil de certains types de handicaps et que Jonathan n’entrait pas dans les critères. J’ai dû alors visiter six institutions avant de trouver celle qui convenait. Je crois comprendre que les choses ont évolué depuis, car maintenant, c’est un organe spécifique qui s’occupe de cette recherche.

Mon fils est donc entré à l’institution à 18 ans. Il restait là-bas durant la semaine et rentrait le week-end et pendant les vacances. Mais après deux ans, j’ai remarqué que cela ne lui convenait pas et qu’il régressait: il marchait difficilement et avait davantage de crises. Par ailleurs, le côté affectif lui manquait énormément.Je pense que les institutions peuvent être bénéfiques pour certains types de handicaps. Mais les personnes comme Jonathan, qui n’ont pas de communication verbale et souffrent d’épilepsie presque au quotidien, ont besoin d’un suivi beaucoup plus personnalisé et constant. Ce qui est aussi compliqué à gérer dans les institutions, c’est le changement fréquent de personnel,qui oblige à expliquer sans cesse la même chose. Ce n’est la faute de personne, mais les problèmes de communication sont encore intensifiés lorsque le résident ne peut pas s’exprimer par lui-même.

Une organisation complète

Après deux ans, en 2014, j’ai donc voulu ramener mon fils à la maison.Il s’avère qu’un autre résident venait d’être sorti de l’institution par sa maman, qui était assistante en soins.Cela m’a inspirée. Lorsqu’on sort une personne en situation de handicap d’une institution, il faut absolument tout mettre en place, de la logistique à l’aspect financier. J’ai alors téléphoné à Pro Infirmis, qui m’a mise en contact avec une assistante sociale. En raison de mes horaires de travail, je devais absolument trouver quelqu’un de disponible de 7 h à 19 h. En outre, comme il m’était nécessaire d’avoir aussi un peu de temps à consacrer à l’administratif, quelqu’un devait également venir deux fois par semaine mettre au lit mon fils et donner un coup de main les samedis matin. Cela représente un total de septante heures, trop important pour une seule personne.J’ai donc appelé l’ancienne nounou de Jonathan, qui a accepté de revenir une année pour s’occuper de lui. Nous avons ainsi trouvé une deuxième personne pour compléter l’équipe.

Aujourd’hui, je pense que, psychologiquement, mon fils est tout à fait heureux. Nous avons trois aides personnelles, des hommes, qui s’occupent de lui. Il voit un physiothérapeute une fois par mois et un ergothérapeute une fois par semaine. En discutant avec tout le monde, on trouve des idées qui permettent à Jonathan de progresser. Je suis contente, parce qu’on a réussi ainsi à ce qu’il soit beaucoup plus en forme physiquement. Mais comme il marche encore la tête baissée, on a, dans la maison,accroché des peluches qu’il adore au plafond, pour le pousser à se redresser et à faire des étirements. Il faut trouver des astuces pour le faire effectuer les mouvements dont il a besoin pour évoluer. Et on réfléchit maintenant à la manière de l’aider à progresser encore davantage dans ses apprentissages.

Difficultés supplémentaires

À l’époque où j’ai ramené Jonathan à la maison, j’ai remarqué différents problèmes. Une personne en situation de handicap a besoin d’être socialisée et de rencontrer des personnes extérieures. Mais les offres d’ateliers proposés par les institutions sont très limitées pour les externes et sont parfois peu adaptées à la condition d’un jeune comme mon fils. Par ailleurs, les aides qui interviennent àla maison n’ont pas du tout les mêmes conditions de travail que les éducateurs en institution: ils ne bénéficient pas de formation, n’ont pas droit à des heures de chevauchement pour transmettre les informations,ni de treizième salaire. Dans le monde des soins à domicile, il est nécessaire de faire des démarches particulières pour obtenir des choses qui sont acquises en institution.

D’autre part, j’ai 61 ans. Et c’est clair que dans quelques années je n’aurai plus les mêmes capacités. Je m’inquiète pour l’avenir de mon fils. Ma fille adore son frère, mais elle travaille en dehors du territoire suisse et elle doit déjà s’occuper de sa propre famille. J’ai donc réfléchi à plusieurs pistes que j’ai proposées à l’État.L’une serait que la personne en situation de besoin puisse être rattachée à une institution, un peu comme un membre associatif. Cela permettrait de faire un lien entre les familles et le monde institutionnel. La personne se rendrait de plus en plus souvent en institution accompagnée de ses aides,elle connaîtrait toujours mieux les employés, et réciproquement. Une autre idée, peut-être plus appropriée pour quelqu’un comme mon fils,serait de créer des micro-structures d’hébergement: des petites communautés où habitent les proches des personnes en situation de handicap et dans lesquelles travaillent des aides.

«À domicile, on doit faire des démarches particulières pour obtenir des choses qui sont acquises en institution»

En rendant l’accompagnement plus personnel et en apportant de nouvelles idées, la vie de ces hommes et de ces femmes serait enrichie. Mais pour l’instant, je ne sais toujours pas quelles possibilités s’offriront à nous.

Des étoiles dans la nuit

J’aimerais toutefois souligner mon estime et mon admiration pour les personnes de Pro Infirmis et les assistants de vie de mon fils, présents et passés. Personnellement, je m’occupe de Jonathan parce que c’est mon fils,mais eux le font par générosité.Ils le font avec cœur. Mes proches aussi font preuve d’un soutien exemplaire. Je suis entourée par des êtres bienveillants et j’en suis très reconnaissante.»*
Prénom d’emprunt.


Avoir un enfant en situation de handicap à la maison exige beaucoup d’organisation

 


Soutien aux proches aidants

Si Pro Infirmis est bien connu, l’un de ses services l’est beaucoup moins: il s’agit de ProcheConnect, qui répond aux questions des proches de personnes souffrant de handicap. «Une étude du canton menée en 2011 montre que les besoins de ces dernières sont bien sûr plus spécifiques et plus importants, mais aussi que la durée de l’aide dont elles ont besoin s’étend sur plu-sieurs années, voire des décennies, souligne Anne-Claire Vonnez, responsable de projet.Leurs proches ont ainsi besoin de conseils et de soutien dans de nombreuses situations différentes.» Pour les aider, ProcheConnect propose un site internet, une newsletter et des conseils et discussions en ligne avec différents professionnels.

Pour un accompagnement personnalisé,le service de conseil social de Pro Infirmis accompagne les familles de la naissance de l’enfant souffrant de handicap jusqu’à ses 7 ans, puis jusqu’à l’âge adulte et à l’AVS. Par ailleurs, un projet pilote portant spécifiquement sur les enfants souffrant de handicap est mené actuellement dans le Nord vaudois. Il vise l’inclusion scolaire, les loisirs,les transports, la relève, l’assurance invalidité, ainsi que le projet de vie (fin de scolarité obligatoire et suite). Enfin, un autre service,Espace Proches, informe pour sa part les proches aidants dans leur ensemble.

Informations: www.procheconnect.ch
et www.espaceproches.ch