Des documents interrogent sur la manière d’octroyer les rentes AI

(RTS)


Des documents interrogent sur la manière d’octroyer les rentes AI Forum / 4 min. / vendredi à 18:00

L’enquête lancée par Alain Berset devra dire d’ici quelques mois si l’assurance-invalidité privilégie la performance au détriment des assurés. Mais des documents que la RTS a pu consulter soulèvent d’ores et déjà beaucoup de questions sur l’octroi des rentes AI.

En décembre dernier, le conseiller fédéral en charge du département de l’Intérieur avait ouvert une enquête pour clarifier la pratique en vigueur au sein de l’assurance-invalidité. Elle devra dire notamment si celle-ci est trop axée sur la performance au point d’accorder un minimum de rentes au détriment des assurés.

En attendant les premiers résultats qui devraient tomber en principe au printemps, la RTS a eu accès à des documents qui interrogent sur les pratiques actuelles.

Ainsi, dans le dossier d’une assurée, on peut voir des photos de son appartement en désordre, sans dessus-dessous, avec des poubelles qui débordent. Or, l’expert conclut dans le rapport médical que cette assurée peut gérer ses tâches ménagères sans aucun problème et qu’elle est donc apte à travailler.

Erreurs parfois grossières

Dans d’autres rapports se cachent des erreurs grossières. L’expert se trompe de personne et parle d’un autre assuré; il explique ailleurs que la personne a perdu du poids alors qu’elle en a pris. Et lorsque l’erreur est relevée par le médecin traitant, l’expert renvoie le paragraphe corrigé mais sans réévaluer le cas.

Copiés-collés ou erreurs: l’association pour personnes avec handicap Procap en voit régulièrement passer dans sa pratique quotidienne. Elle observe aussi que ces expertises sont le plus souvent défavorables aux assurés.

« Sur le dos des personnes »

« On est dans un contexte où on a une population qui augmente, on a des contraintes du marché du travail qui augmentent aussi, on a des gens qui sont cassés par la vie. Et on se retrouve en parallèle avec des objectifs de diminution de rentes », explique l’un de ses avocats, Séverin Tissot-Daguette. « Donc, au final, cela ne se fait que sur le dos des personnes, ça ne peut pas être autrement. »

Les statistiques le confirment: alors que la population augmente, le nombre de rentes a diminué de 20% depuis 2005 selon une étude du Pôle national de recherche.

La pression des objectifs de performance

Cette diminution s’explique d’abord par la volonté politique. L’AI devait s’assainir et elle a été révisée il y a une dizaine d’années. Depuis, l’Office fédéral des assurances sociales (Ofas) fixe des objectifs de performance aux offices cantonaux qui attribuent les rentes.

« Même si ce n’est pas contraignant, il y a cet objectif de faire baisser le nombre de rentes », constate le directeur de l’office AI neuchâtelois Gregory Jeannet. « En ce sens, cela peut exercer une pression pour les offices qui s’en sortent un peu moins bien. C’est le cas de Neuchâtel qui tient depuis une dizaine d’années le haut du pavé en matière d’octroi de rentes. Le taux a d’ailleurs légèrement diminué, essentiellement via la réinsertion professionnelle et la réadaptation. « 

Le tout est de savoir si cette pression mène à des injustices et des inégalités, et c’est ce que devra vérifier l’enquête lancée en décembre. Mais il y a déjà des symptômes inquiétants, comme ce cas d’un assuré qui habitait le canton de Vaud et qui a déménagé en Valais en oubliant d’annoncer son départ. Du coup, les deux cantons ont statué et rendu deux verdicts totalement opposés: le Valais a jugé qu’il n’avait plus du tout droit à une rente alors que Vaud a estimé au contraire que son état de santé s’était aggravé et qu’il avait droit à une rente plus élevée.

Face à cet exemple, il est intéressant de comparer les conventions d’objectifs pour ces deux cantons : Vaud ne les atteint pas et le taux de nouvelles rentes augmente alors que le Valais les atteint avec un taux qui a diminué.

L’interview de la conseillère d’Etat vaudoise Rebecca Ruiz, cheffe du Département de la santé et de l’action sociale, dans Forum:


Forum – Publié vendredi à 18:00

D’autres facteurs expliquent sans doute aussi cette évolution mais la pression peut pousser certains offices à placer la performance en priorité pour remplir les objectifs de baisse de rentes.

L’inévitable part de subjectivité

Dans le cadre d’expertises médicales, il y a forcément aussi une part de subjectivité dans l’évaluation – surtout quand on parle de souffrance psychologique ou de douleur. Mais cela devient un problème lorsque les expertises ne sont pas sérieuses et neutres.

Pour l’avocat de Procap, le système n’est plus fiable parce que les experts sont liés à l’assurance: c’est l’AI qui les forme et les paie. Le quotidien alémanique Blick avait du reste révélé des revenus astronomiques l’automne passé: 3 millions de francs en cinq ans par exemple pour un médecin bernois. Dans ce cadre, une autre enquête – externe cette fois-ci – est aussi en cours pour s’assurer que les experts ne s’enrichissent pas sur le dos de l’assurance-invalidité.

Alexandra Richard/oang