Pour les parents d’enfants handicapés, c’est l’enfer

(Le Matin.ch)

Pour ces familles souvent monoparentales, leur situation qui était déjà compliquée est devenue cauchemardesque avec le confinement.


Pour les enfants en situation de handicap, ce bouleversement de leurs routines est encore plus dramatique que pour nous. Image: iStock

 

Durant cette crise due à l’épidémie du coronavirus, on a beaucoup parlé de certaines populations extrêmement fragilisées, comme les seniors, les malades et les personnes défavorisées socialement. Mais cette épreuve est également un calvaire pour les parents d’enfants en situation de handicap et les handicapés eux-mêmes.

«J’ai une fille de 8 ans autiste et un garçon de 13 ans avec de grosses difficultés scolaires», nous raconte cette Lausannoise, qui vit seule avec ses deux enfants. «Ma fille souffre notamment de l’interruption forcée de ses thérapies. Scolairement, c’est compliqué également. Mes enfants vont à l’école ordinaire mais avec des aides, de l’enseignement spécialisé, des aménagements… Tout tombe à l’eau et on se retrouve avec le même programme que les autres, mais sans soutien.»

Qui pour les garder?

Les services de garde ponctuelle pour soulager les parents ne fonctionnent plus non plus. Cette maman est donc condamnée à rester confinée avec ses enfants. «Je peux sortir en balade avec eux, mais faire les courses c’est impossible. Et le commerce en ligne est saturé. Il faudrait que ces plateformes de vente puissent donner la priorité aux situations urgentes ou alors obtenir le renfort nécessaire pour faire face à la demande.»

Et là également, difficile de trouver quelqu’un pour l’aider. «Je n’ai aucun contact avec mes voisins. La semaine passée, c’est une connaissance qui nous a posé des courses derrière la porte.» Une situation qui devient de plus en plus pénible jour après jour. «Mes enfants jouent, essentiellement. Mais je peine à structurer les journées et ma fille est très agitée. Je suis très fatiguée et il y a beaucoup d’inquiétude.»

75% de familles monoparentales

Ce cas est loin d’être isolé, comme nous le confirme Isabelle Steffen, membre du comité d’Autisme Suisse romande. «Il faut savoir que 75% des couples dont un enfant est atteint d’une pathologie récurrente, donc qui ne se soigne pas, explosent. Et neuf fois sur dix, c’est la maman qui se retrouve seule avec un ou deux enfants atteints d’un handicap.»

«L’Office fédéral de la statistique estime qu’au total 52 000 enfants de moins de 14 ans sont handicapés, dont 8000 avec des limitations fortes», nous précise Marc Moser, responsable de la communication d’Inclusion Handicap, l’association faîtière des organisations de personnes handicapées. «Toutefois, les handicaps, le type et l’étendue de l’aide varient considérablement, ce qui rend difficile de tirer des conclusions générales.» N’empêche, cela donne une idée de nombre de ces familles touchées de plein fouet par les conséquences de l’épidémie.

Perturbés par tout changement d’habitude

Les problèmes sont, on l’a vu, multiples. «Pour les thérapies, certains ont mis en place des solutions par visioconférence, mais l’enfant a tout de même souvent besoin d’un contact, explique Isabelle Steffen. Pour la garde, il faut que cela soit des gens qui aient reçu une formation de base. Et pour les enfants autistes, toute nouveau visage est synonyme de stress. Tout changement dans leur routine, d’ailleurs, les perturbe fortement. Regardez comme le coronavirus a changé nos habitudes, imaginez ce que cela représente pour eux! Ils peuvent du coup partir en crise, s’auto-mutiler.»

Grands-parents hors-jeu

Bon nombre de ces familles avait l’habitude de se faire aider par… les grands-parents. «Oui beaucoup de grands-papas et de grands-mamans avaient reçu une formation pour s’occuper et garder leurs petits-enfants, soulageant ainsi les parents», dit Alex Fischer, responsable de la politique sociale chez ProCap, la plus grande association de et pour personnes avec handicap en Suisse. Évidemment, avec le coronavirus, comme les autres grands-parents, ils ne peuvent plus voir leurs petits-enfants.

Qu’arrivera-t-il si le ou les parents d’enfants handicapés se retrouvent dans l’incapacité de les garder? S’ils doivent être hospitalisés par exemple? «Pour certaines pathologies, il existe évidemment des institutions, qui peuvent accueillir les enfants, fait remarquer Alex Fischer. Mais pas pour d’autres, comme mon fils, qui souffre d’un syndrome rare; honnêtement, je ne sais pas ce qu’il adviendrait de lui si ma femme et moi ne pouvions plus nous en occuper.J’imagine qu’il serait, au pire des cas, mis à l’hôpital, même s’il n’est pas malade.»

Confinés dans les institutions

N’oublions pas non plus que les enfants plus âgés et les jeunes adultes qui sont en institution en semaine et rentrent le week-end sont bloqués là-bas depuis le début de la crise. «Mais nous avons reçu beaucoup de messages très émouvants de parents qui tirent un grand coup de chapeau à la plupart des institutions, souligne Isabelle Steffen. Rien ne remplacera la présence de leur enfant, mais de nombreux aménagements ont été mis en place, avec des contacts vidéos.»

Comment répondre à toutes ces situations dramatiques? Tous nos interlocuteurs en appellent à un mélange de solidarité citoyenne et d’aide des autorités. Encore faudrait-il trouver un seul endroit qui regroupe toutes les demandes, toutes les réponses et toutes les propositions d’aide. Il existe des hotlines, mais pour les personnes autistes par exemple, téléphoner est rédhibitoire. Mieux vaut communiquer par écrit.

Créer des groupes

Initiée par la maman qui nous a apporté son témoignage, une page Facebook a été ouverte pour mettre en relation parents et professionnels pour enfants à besoin spécifique. «Mais cela ne fonctionne pas très bien pour l’instant, soupire-t-elle, car les parents viennent témoigner de leur situation, comme sur une autre page Facebook, mais ne publient pas de demande d’aide. Nous avons pourtant beaucoup de professionnels à disposition et l’idée est de les mettre en lien et de continuer en conversation privée.»

«Cette épidémie, c’est tellement nouveau, les autorités n’ont pas pu penser à tout, reconnaît Alex Fischer. Par exemple, les parents d’enfants de plus de 12 ans ne peuvent pas ne pas aller travailler sous prétexte qu’ils doivent rester à la maison s’occuper d’eux. On le comprend puisqu’on estime qu’à cet âge, l’enfant peut rester seul. Mais pas s’il est en situation de handicap et aucune allocation perte de gains n’est prévue pour ces parents. C’est ce genre de chose qu’il faut corriger, j’espère que ce sera rapidement fait.»

Les bonnes nouvelles arrivent

Heureusement, les choses bougent! La situation que vivait la maman qui témoigne dans notre article, témoignage recueilli lundi 30 mars, a commencé à changé le lendemain. «Les différents intervenants (école, thérapeutes) m’ont proposé une visio-conférence lors de laquelle nous avons pu trouver quelques solutions ensemble et avons décidé de nous retrouver régulièrement pour faire le point grâce à cette méthode. C’est un soulagement que de retrouver le lien et de se sentir à nouveau épaulée.»

Le canton de Vaud nous a d’ailleurs confirmé que de nombreux aménagements sont en train d’être mis en place. La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) nous a ainsi indiqué que le service de relève Phare mineurs de Pro Infirmis, avec des collaborateurs formés et expérimentés se rendant à domicile pour prendre le relais des parents avait été maintenu depuis le début de la crise, mais en donnant la priorité aux situations critiques (parents actifs dans les soins, sans possibilité de télétravail, familles monoparentales, etc). «Avec l’arrivée de davantage de matériel de protection (masques, gel…), la prestation pourra reprendre pour une partie des clients connus ainsi que pour des urgences», nous dit la direction.

Création d’un dispositif cantonal d’aide

En outre, la DGCS va annoncer ce vendredi 3 avril la mise en place d’un dispositif cantonal d’aide aux personnes rencontrant des difficultés dans leur vie quotidienne (courses, transports, aide au proches, etc.) qui sera ouvert à la fin de cette semaine. Il entrera progressivement en force.

Nous n’avons contacté que le canton de Vaud dans le cadre de cet article, la maman qui nous apporté son témoignage y habitant. Impossible de dresser la liste de ce que les autres entreprennent, le fédéralisme multipliant les pratiques. Nous conseillons aux personnes concernées par ces problèmes de consulter les sites officiels de leur canton et et commune ainsi que des organismes d’aide appropriés, comme ceux mentionnés dans cet article.

Michel Pralong