Le Covid-19 chamboule la vie des personnes handicapées

(Le Temps)

Comme les EMS, les institutions qui accueillent des personnes ayant une déficience intellectuelle ont dû faire face à l’épidémie. Cela signifie de profonds changements tant pour les résidents que pour les collaborateurs.


Les résidents de la structure spécialisée Valida mangent à bonne distance les uns des autres. Saint-Gall, le 23 mars 2020. — © KEYSTONE/Gian Ehrenzeller

 

Comment faire comprendre la dangerosité d’un virus invisible à une personne ayant une déficience intellectuelle? Comment respecter les distances de sécurité avec un résident qui ne peut se nourrir, s’habiller ou se laver seul? Comment faire porter un masque à une personne autiste qui n’en voit pas l’utilité? Face à l’épidémie de Covid-19, les institutions qui accueillent des personnes en situation de handicap sont mises au défi. A l’instar des EMS, elles ont dû revoir en profondeur leur fonctionnement, adapter le quotidien tant des résidents, souvent à risque, que des collaborateurs.

Difficile à vivre pour tout un chacun, le confinement peut représenter une source d’angoisse supplémentaire pour les personnes en situation de handicap. «Les résidents ont leurs habitudes, il est extrêmement important pour eux d’avoir des rituels, des repères pour structurer leur quotidien. L’épidémie a tout bouleversé», confie Dominique Praplan, directeur de la Fondation Eben-Hézer Lausanne. L’institution héberge quelque 215 personnes avec des déficiences intellectuelles, des troubles autistiques, du comportement ou de la personnalité, auxquels s’ajoutent souvent des problèmes somatiques. Avec une moyenne d’âge de plus de 50 ans, la population est à risque.

Contexte émotionnellement chargé

«L’un des défis a été de faire comprendre les règles d’hygiène à suivre, la suppression des visites et des sorties dans un contexte émotionnellement très chargé, poursuit Dominique Praplan. Certaines personnes ont moins de ressources que d’autres pour gérer leurs émotions, cela peut être très lourd pour le personnel.» Un personnel lui-même mis à rude épreuve. Entre les collaborateurs contaminés par le Covid-19 et ceux mis au chômage pour cause de vulnérabilité, l’absentéisme a triplé, atteignant plus de 20%. «Heureusement, les personnes qui travaillaient dans les ateliers, aujourd’hui fermés, sont venues soutenir les équipes à flux tendu au sein des hébergements.»

Malgré les précautions, la Fondation Eben-Hézer a enregistré son premier cas de Covid-19 le 12 mars dernier. Au total, 12 résidents ont été contaminés dont neuf sont à ce jour guéris. «Dès les premiers soupçons, les résidents ont été mis en quarantaine avec les autres personnes qui partageaient leur lieu de vie, précise Dominique Praplan. Avec l’augmentation des cas, une unité d’urgence a été créée pour isoler les malades uniquement.»

D’éducateur social à infirmier

Epidémie oblige, les tâches des collaborateurs ont elles aussi évolué. «Certains éducateurs sociaux ont dû s’improviser infirmiers, effectuer un suivi médical, promulguer les soins de base, distribuer des médicaments», souligne Dominique Praplan. Une «médicalisation» de l’accompagnement pas toujours évidente à assumer.

A Genève, les Établissements publics pour l’intégration (EPI) ont eux aussi recensé trois cas de Covid-19, aujourd’hui guéris. Les ateliers protégés, boutiques et restaurants étant fermés depuis le début du confinement, seuls les lieux d’hébergement – qui accueillent quelque 328 personnes en situation de handicap – subsistent. L’éducatrice sociale Valérie Stahli travaille dans l’un d’eux, situé à Thônex. Dans l’appartement occupé par six personnes entre 28 et 58 ans, c’est une toute nouvelle vie qu’il a fallu organiser. La plupart des résidents souffrent de déficience intellectuelle sévère, à laquelle s’ajoutent des troubles du spectre autistique pour la moitié d’entre eux.

Besoin de contact physique

«La plus grande difficulté reste de maintenir les distances de sécurité, note la professionnelle qui travaille depuis plus de vingt-cinq ans avec des personnes handicapées. Certains résidents ont constamment besoin d’un contact physique, d’autres ne supportent pas d’avoir les mains mouillées. D’autres encore peinent à comprendre le concept même de maladie.»

Alors que le confinement a fait voler en éclats la notion du temps, il a fallu redéployer rapidement un cadre avec de nouvelles activités. «Au programme, cuisine, pâtisserie, chant, lecture de contes, mais aussi cours de gymnastique et de relaxation pour garder une certaine mobilité», détaille Valérie Stahli. Malgré tout, de nombreux résidents souffrent de ne plus avoir de contacts avec leurs proches.

Encadrer des personnes handicapées, c’est aussi anticiper les besoins de personnes qui ne parlent pas. «Certains résidents expriment leurs émotions par de l’agressivité envers les autres ou envers eux-mêmes, c’est à nous de les rassurer, de sentir quand quelque chose ne va pas», estime Valérie Stahli. Après cinq semaines, la socioéducatrice note toutefois qu’un équilibre s’est mis en place. «Au départ, les changements ont généré des crises d’incompréhension, de frustration, souligne-t-elle. On ressent aujourd’hui une certaine sérénité, comme si le temps d’adaptation était atteint.»

Entre liberté et vigilance

Depuis le confinement, certaines personnes qui fréquentaient des institutions à la journée sont retournées dans leur famille. C’est le cas de Vincent, 25 ans, atteint de trisomie 21 et de difficultés de langage, qui travaille habituellement dans un atelier de la Fondation Eben-Hézer. «Certes, la charge de travail est plus intense depuis qu’il est à la maison durant la journée, mais on est habitués, témoigne sa mère, Jocelyne Gallay, infirmière dans le canton de Vaud. Aujourd’hui, il est plus autonome, s’il avait encore 15 ans cela aurait été bien plus compliqué.»

De fait, une nouvelle routine s’est mise en place. «Le matin, Vincent se réveille à l’heure qu’il veut, c’est pour lui une nouvelle liberté, détaille Jocelyne Gallay. Puis, on fait des exercices de logopédie. L’après-midi, il saute au trampoline, passe des coups de téléphone, s’occupe dans sa chambre. L’autre jour, on a aussi fait un cours de yoga en ligne ensemble. Je suis restée à côté de lui pour l’aider.»

S’il parvient à s’occuper seul, Vincent nécessite néanmoins une vigilance constante. «On lui a expliqué ce qui se passait, il a bien vu qu’on ne recevait plus personne à la maison, mais il est difficile de savoir s’il a vraiment conscience de la situation, confie Jocelyne Gallay. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle vie ne génère pas d’angoisses particulières chez lui, il est très calme.»