Les expos resteront-elles sur la Toile?

(Le Matin Dimanche / Cultura)

Pendant le confinement,les musées ont proposé des visites virtuelles, des concours et animations en tous genres.Poursuivront-ils dans cette voie?
ISABELLE BRATSCHI


Le Musée d’art de Pully (VD) propose sur son site, jusqu’au 26 juillet, la visite virtuelle de son exposition «Paris en Fête»,sur les pas de sa directrice Delphine Rivier.Capture d’écran/ Musée de Pully

 

Suspendre un Hodler dans sa salle de bains, créer sa propre machine à Tinguely, se balader dans les collections des musées et visiter les expositions en cours,tout cela en home service. C’était possible pendant les deux mois du confinement. Et maintenant? Les portes du numérique vont-elles se refermer aussi vite qu’elles se sont ouvertes? Pas si sûr.

Pour certains, le plaisir de se confronter à l’œuvre,de pouvoir la contempler dans les moindres détails reste irremplaçable; pour d’autres, le bonheur d’offrir l’espace à un public différent et à ceux qui ne peu pas se déplacer est devenu une priorité. Revenir à la normale ou prendre une autre voie, tel est le nouveau défi des musées de Suisse romande.

«Nous n’avons pas proposé de visite virtuelle.C’était un choix, explique Bernard Fibicher, directeur du Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne(MCBA). Pendant le confinement, nous nous sommes penchés sur des actions ponctuelles avec une œuvre de nos collections commentée ainsi qu’une activité de médiation qui portait sur des bricolages.»

Sous le titre «En temps de fermeture, le MCBA toque à votre écran», il était question de se faire une coiffure spectaculaire à la manière du portraitiste des XVIIe et XVIIIe siècles Nicolas De Largillierre ou de réaliser chez soi une exposition miniature avec des objets rouges, à l’image des monochromes d’Olivier Mosset. Avec des résultats plus ou moins concluants. «Nous n’avons privilégié que ces activités-là, reprend Bernard Fibicher.Une étude a montré que les visites numériques de musées ont fonctionné pendant les deux ou trois premiers jours du confinement, puis il y a eu une chute immédiate du nombre de clics. La curiosité du début s’est rapidement essoufflée. Cela ne correspond pas à un besoin. Et plaide pour la rencontre physique des oeuvres dans un musée. Rien ne peut remplacer cela.»

Le pire et le meilleur

Un avis que partage Sarah Lombardi, directrice de la Collection de l’Art brut, à Lausanne: «Le contact direct entre le public et les œuvres est pour moi essentiel. C’est un dialogue que ne restitue pas le virtuel.Dans un musée, il y a un éclairage particulier, une ambiance, une scénographie, un contexte géographique, et tout cela a une incidence sur la manière dont vous percevez l’œuvre. En vrai, on se rend compte de sa texture, de ses dimensions, comme les paysages à l’aquarelle de trois mètres d’Henry Darger ou les petites photographies de Lee Godie.»

La Collection de l’Art brut a toutefois proposé sur son site de parcourir ses salles, de s’approcher des pièces et de zoomer sur les cartels explicatifs. «C’est un lien qui nous a permis de garder le contact avec le public, de l’informer et de lui donner envie de venir. C’était une manière de pallier la fermeture brutale du 13 mars, le lendemain du vernissage de «Chicago Calling».»

Sur la Toile, on a vu de tout pendant cette période de confinement, le pire et le meilleur. Service minimum pour les uns avec une œuvre expliquée par mois, ce qui fait deux. Visite virtuelle à partir d’un curseur où l’on avait la désagréable impression de tourner en rond, de revenir inexorablement vers l’entrée sans savoir comment s’en sortir!

Mais il y a eu aussi des révélations. Le Musée Jenisch, à Vevey, a profité de cette période pour créer un site très complet sur Oskar Kokoschka, l’une des figures marquantes de ses collections. La Maison d’Ailleurs, à Yverdon-les-Bains (VD), habituée aux mondes parallèles. a imaginé «Un bout d’ailleurs chez vous», avec une enquête sur internet où chaque participant possède des indices différents.

À Genève, le Musée Ariana a lancé «Allô culture»:jusqu’au 8 juin, les commissaires de l’exposition «Pièces à problèmes» vous appellent pendant quinze minutes par téléphone pour vous conter l’histoire des objets. Le Centre d’art contemporain s’est hissé au«5e étage», nom de sa plateforme virtuelle et a organisé un concours prolongé jusqu’au 5 juin qui consiste à composer un pangramme, c’est-à-dire une phrase comportant chacune des 26 lettres de l’alphabet.

En Valais, le Manoir de la ville de Martigny, avec sa série «Vous êtes (presque) ici», offre une visite guidée par le peintre Alexandre Loye. La Ferme-Asile, à Sion,a posté sur vimeo.com une conférence sur les ondes artistiques par la curatrice Véronique Mauron.

Au Locle (NE), le Musée cantonal des beaux-arts a été l’un des premiers à lancer un concours de caricatures en rapport avec l’exposition consacrée à Chappatte et à montrer l’envers du décor. «C’est une idée que nous allons poursuivre, précise la directrice Nathalie Herschdorfer. Nous avons renoncé aux visites virtuelles, mais nous voulions continuer à offrir un autre contenu sur les réseaux sociaux. D’une manière assez spontanée, nous avons donné la parole à nos collaborateurs. Nous avons également voulu dévoiler les coulisses du musée et les trésors de notre collection. Cette période a été un coup d’accélérateur. Notre idée est de conserver ces rendez-vous hebdomadaires avec un contenu conçu pour ce monde virtuel afin de toucher des publics plus lointains ou différents.»

Attirer des publics différents

S’adresser à un autre public, c’est la leçon que le Musée d’art de Pully (VD) a retenue de cette période inédite. La visite virtuelle de «Paris en Fête» est un vrai bonheur. Elle commence par l’introduction de la directrice, Delphine Rivier, qui nous invite à la suivre dans les salles, les explications des conservateurs, les lectures des spécialistes, comme celles des auteurs Matthieu Mégevand ou Mélanie Chappuis. Le programme est varié, dynamique et plein de surprises.«Nous allons désormais le faire pour chaque exposition avec cette idée de la culture accessible à tous, souligne Delphine Rivier. Nous sommes le premier musée vaudois à avoir eu le label «Culture inclusive». Nous travaillons avec Pro Infirmis en vue d’intégrer des publics différents, les enfants à déficience intellectuelle et les ultraseniors, les personnes en EMS, à l’hôpital ou qui ne peuvent pas sortir de chez elles. La virtualisation nous permettra d’aller vers eux. C’est un formidable outil de médiation et d’échange. Le confinement a augmenté cette prise de conscience que nous sommes tous, à un moment ou à un autre, dans l’incapacité de bouger.

Musée d’art et d’histoire, Genève
Le prêt virtuel d’œuvres d’art


Comment serait votre chambre à coucher avec un Ferdinand Hodler au-dessus du lit?

 

Vous rêvez d’avoir «Le lac Léman vu de Chexbres» de Hodler au-dessus de votre lit, de suspendre à l’entrée «Les roses rouges et blanches»de Vallotton ou de poser une sculpture de Markus Raetz sur la cheminée? Rien de plus simple. Le Musée d’art de d’histoire de Genève a imaginé un prêt virtuel d’œuvres d’art. Pour cela il suffit d’envoyer une photo de la pièce de votre domicile que vous souhaitez décorer, de choisir un objet dans la collection du musée et d’envoyer le tout à community.mah@ville-ge.ch. À voir les photos postées sur le site, le résultat est bluffant, amusant, parfois surprenant.www.mahchezvous.ch


Le musée neuchâtelois propose de voir en détail les trois peintures monumentales de Léo-Paul Robert qui ornent son escalier. Capture d’écran /Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel

 

Sur son site, le MAHN invite à parcourir les merveilles qui ornent la cage d’escalier située au cœur du bâtiment. Il s’agit des peintures monumentales réalisées par l’artiste suisse Léo-Paul Robert(1851-1923). Elles représentent les trois régions du canton: Neuchâtel et la vie intellectuelle, le Val-de-Ruz et la vie rustique, La Chaux-de-Fonds et la vie industrielle. On part ensuite vers le décor de la voûte constellée d’étoiles et des parois peintes dans un esprit Art nouveau par l’artiste anglais Clément Heaton (1861-1940). La visite virtuelle se termine avec des trésors d’architecture, qui sont ici dévoilés en détail.www.mahn.ch