Le droit de vote sous curatelle n’est pas pour demain

(Le Courrier Genève)

L’accès au droits politiques pour les personnes atteintes de troubles psychiques ou de déficience mentale divise le parlement


La motion discutée demandait que les personnes sous curatelle de portée générale jouissent par principe de leurs droits politique. KEYSTONE

 

par Sophie Dupont

Grand Conseil: Vaud n’est pas pressé d’accorder le droit de vote aux personnes sous curatelle de portée générale. Après avoir refusé le droit de vote à 16 ans, le parlement a reporté sa décision d’accorder ou non des droits politiques aux personnes atteintes de troubles psychiques ou de déficience mentale. Aujourd’hui,celles-ci sont privées du droit de vote, sauf si elles prouvent, à travers des démarches astreignantes, qu’elles sont capables de discernement. Une situation discriminante que le député d’Ensemble à gauche Hadrien Buclin propose de changer, suivi par tous les partis de gauche. Mercredi, au terme d’un débat nourri,les députées ont finalement voté la proposition du PLR de remettre la décision à cet automne,après la révision de la loi sur l’exercice des droits politiques.

Renversement demandé

La motion discutée demandait que les personnes sous curatelle de portée générale jouissent par principe de leurs droits politiques. Elle proposait un «renversement du fardeau de la preuve»:dans le cas où il serait manifeste que quelqu’un est privé de discernement, l’État devrait en apporter la démonstration. «Souvent, une personne sous curatelle de portée générale a un discernement réel et s’intéresse à la chose publique», a plaidé Hadrien Buclin. A Genève, la réhabilitation des droits politiques aux personnes en situation de handicap psychique ou mental a été plébiscitée par 75% de la population en novembre dernier.Ratifiée par la Suisse, la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées demande aux États de garantir aux personnes en situation de handicap la possibilité d’exercer ses droits politiques en égalité avec les autres.

«Vivre avec un handicap,c’est se rappeler jour après jour ses limitations. La privation des droits politiques est une vexation en plus, qui n’est pas moindre», a défendu le socialiste Jean Tschopp. Il a rappelé qu’avec la révision du droit de protection de la personne, un certain nombre de curatelle sont été étendues en curatelles de portée générale, privant d’au-tant plus de citoyennes de leur droit de vote. Son collègue Arnaud Bouverat, membre de Cerebral Vaud et Solidarité Handicap mental, note que le canton de Vaud fait partie de ceux qui imposent le plus de curatelles de portée générale. «Cette situation doit nous interpeller. Des personnes qui ont simplement comme handicap une infirmité motrice cérébrale – je rappelle que des philosophes sont concernés – se trouvent d’office sous curatelle de portée générale. Pour garder leurs droits politiques, elles doivent contester la décision», souligne-t-il.

Craintes à droite

A droite, le PLR, resté discret,s’oppose à la motion et estime que des améliorations peuvent être apportées par une meilleure pratique et lors de la révision de la loi sur l’exercice des droits politiques, actuellement examinée en commission. «Un mécanisme est déjà en place, qui mérite d’être amélioré et clarifié», a dé-fendu le député Grégory Devaud.Son collègue Philippe Vuillemin ne veut pas d’un changement«juste avant les élections cantonales». L’UDC craint quant à elle que des personnes en situation de handicap mental soient influencées dans leur vote, notamment par leur curateur ou curatrice. «Une curatelle consiste à s’assurer que le frigo est rempli,que la personne a de la visite. droit de vote et d’éligibilité n’est pas, dans les curatelles dont je m’occupe, la préoccupation première de la personne», a plaidé Jean-Luc Chollet.

La magistrate Christelle Luisier Brodard a quant à elle annoncé que la pratique actuelle de l’État ne respecte pas la Constitution. «Le retrait des droits politiques est quasiment systématique, même si la cura-telle de portée générale a été prononcée pour une autre raison que l’incapacité de discerne-ment. Nous devons changer cette pratique», a-t-elle affirmé.Les curatelles de portée générale concernent un tiers de toutes les curatelles prononcées. Dans le cas où les élues souhaitent donner l’accès aux droits politiques à toutes les personnes avec une incapacité de discernement, cela passera par un changement de la constitution. Une votation populaire sera alors nécessaire, comme cela a été fait à Genève.