Des formateurs avec un handicap mental enseignent aux étudiants

(Krankenpflege / Soins infirmiers)

Des personnes en situation de handicap jouent le rôle de patients simulés et participent à la formation des infirmières et infirmiers de demain – un laboratoire pratique d’examen clinique extraordinaire à la Haute école de santé de Genève.

Texte: Seyerine Lalive Raemy, Fabienne Terraneo

Dans son rapport Santé et Handicap de 2011, l’OMS constate qu’il est urgent de former les soignants aux besoins spécifiques de santé du patient avec handicap. Ce rapport ajoute qu’une personne ayant un handicap a deux fois plus de risques de trouver des prestataires de santé qui n’ont pas les compétences requises pour la soigner, trois fois plus de risques de se voir refuser les soins et quatre fois plus de risques d’être mal soignée.

Enseignement ciblé

Depuis douze ans, la Haute école de santé de Genève (HEdS) intègre dans son programme de bachelor en soins infirmiers (plan d’études cadre PEC 12), un axe d’enseignement sur le handicap mental. Après des débuts timides, cette thématique a pris de l’ampleur au cours des trois années du bachelor. Les contenus des enseignements sur le handicap ont été déclinés partir du PEC 12, des recommandations internationales de l’OMS, de la Convention des droits des personnes handicapées de l’ONU et du Royal Collège of Nursing de Londres.

Des cours spécifiques abordant le handicap sont donnés ainsi que des cours non spécifiques sur des thématiques sociales et de sciences infirmières ou encore relatifs l’examen clinique infirmier. Chaque étudiant et étudiante reçoit au minimum 36 heures de formation sur les différents handicaps: sensoriel, moteur, intellectuel, psychique et polyhandicap. Dans certains modules, le handicap est ciblé au travers d’actions de promotion de la santé; dans d’autres, des partenariats sont instaurés avec les institutions et les associations de personnes handicapées. L’objectif est de sensibiliser les étudiants en rendant visible cette population vulnérable de manière positive, pour casser les préjugés, notamment en employant officiellement des formateurs avec handicap mental pour enseigner aux étudiants.


Les étudiants découvrent comment parler à une personne en situation de handicap mental.

 

Scénario: suspicion de fracture

En 2018, un projet est né afin de permettre aux étudiants en soins infirmiers de troisième année de développer des compétences en lien avec l’examen clinique de l’état mental et musculosquelettique, en ayant recours à des patients simulés eux-mêmes en situation de handicap mental.

Les 120 étudiants concernés ont préparé un laboratoire pratique intitule «Examen clinique de l’état mental» en prenant connaissance au préalable de ressources sur la plateforme d’enseignement en ligne de la HEdS.


Une rencontre qui permet de s’apprivoiser réciproquement.

 

En parallèle, les douze patients simules se sont formés un scenario dans lequel ils présentent une suspicion de fracture du poignet suite un accident dans les transports publics. Ils ont appris les éléments importants de l’anamnèse et de l’examen physique en lien avec ce diagnostic, en étant coachés par l’enseignante responsable de ce laboratoire. Ils ont aussi rencontré les enseignants qui accompagnent les étudiants impliqués afin de créer un climat de confiance réciproque pour un déroulement optimal.

Lors du laboratoire, chaque patient simulé rencontre dix étudiants accompagnés d’une enseignante durant deux heures. Hormis les compétences en examen clinique, les étudiants ont pour objectif d’entrer en contact avec la personne et de tisser avec elle un lien de confiance favorisant une prise en soins de qualité, adaptée aux besoin spécifiques de ces patients singuliers. Ils doivent adapter leur écoute, leur communication verbale et non verbale aux spécificités du patient. Ils doivent évaluer la capacité de discernement de la personne et favoriser son autodétermination.

Sortir de sa zone de confort

Après un accueil et une répartition des tâches pour les étudiants, chacun joue son rôle consciencieusement. Certains étudiants sont très intimidés, parfois mal a l’aise. L’une d’entre eux dira: «J’avais peur de ne pas savoir faire, de ne pas dire ce qu’il faut, ou au contraire de dire ce qu’il ne faut pas dire.» Petit à petit, atmosphère se détend, les questions se font plus fluides, plus logiques, le raisonnement clinique s’affûte.

Concrètement, par le biais de l’anamnèse que les étudiants mènent auprès du patient simulé, ils découvrent que celui-ci présente une suspicion de fracture du poignet. Il s’agit donc de mobiliser les compétences en examen clinique musculosquelettique acquises précédemment, gérer la communication avec le patient simulé, évaluer ses besoins, son niveau de compréhension et d’anxiété. Pour les étudiants, il s’agit aussi de sortir de leur zone de confort et de gérer des imprévus en s’adaptant aux ressources et limites de la personne soign6e. Une participante a souligné: «Cette mise en condition de vie réelle est trés formatrice -à introduire pour les prochaines volées.»

Des imprévus formateurs

La principale difficulté de ces laboratoires est que même s’ils sont réglés comme du papier musique, ils ne se déroulent jamais comme prévu – la caractéristique principale du travail avec des formateurs en situation de handicap mental. arrive ceux-ci oublient les informations données ou se trompent de jour. Un dernier briefing est indispensable pour les rassurer et les préparer. Une jeune femme a par exemple bien appris son scénario d’accident dans
le bus et de blessure au bras et maitrise les points principaux, mais elle mélange le scénario avec sa réalité, ses médicaments, sa pathologie. Ces imprévus ont été anticipés lors de l’élaboration du
script. Ils permettent aux étudiants de mieux comprendre la réalité de la personne et à l’enseignante d’apporter des éléments complexes de savoir-faire, savoir-être, savoirs scientifiques et techniques.

Rôle de l’enseignante

Une enseignante remarque que la patiente simulée, intimidée et fière la fois, la cherche souvent du regard pour se rassurer. Elle reste toutefois le plus possible en retrait pour laisser les étudiants s’approprier l’exercice et créer un lien de confiance avec la patiente et le groupe. «J’ai appris laisser de l’espace au patient simulé, car j’ai compris que c’est comme cela que les étudiants apprendraient le mieux», précise l’enseignante. Elle encourage, rebondit sur les questions pertinentes, pose des questions de physiopathologie. Elle encourage chacun et chacune surmonter sa crainte et la méconnaissance de l’autre, pour mettre des mots et accompagner cette rencontre authentique entre soignants et soignés.«Le patient avec qui je travaille est formidable», reconnait une autre enseignante. «Avec ses mots et à sa manière, il dit aux étudiants de quoi il a besoin, ce qu’il comprend, ce qu’il ne comprend pas, ce qui lui fait peur. Il les guide et il me guide. J’ai compris qu’il est le meilleur ambassadeur qui soit pour les personnes en situation de handicap.»

Une expérience à reconduire

Des évaluations de la méthode pédagogique ont été effectuées et les résultats sont extrêmement positifs. A la fois dense et intense, ce laboratoire a été un vrai succès, tant il y a à apprendre sur tous les plans. Les étudiants considèrent cette expérience comme excellente (73%), très bien (20,6%) ou satisfaisante (6,3%). Une étudiante explique: «Faire intervenir des patients simulés en situation de handicap m’a permis de rentrer dans le rôle comme si c’était la réalité. Cette idée est géniale!»

Désormais, plus de 130 étudiants par an (hors période Covid) bénéficient de ce laboratoire, avec des rencontres toujours pleines de surprises et de diversité. Un patient simulé explique: «Je suis fier de participer à cette formation. Tout me satisfait.» Il poursuit:«C’est comme ça qu’on fera changer les regards envers la personne en situation de handicap. Il faudrait même agrandir cette expérience à toute la Suisse.»

Les auteures

Séverine Lalive Raemy et Fabienne Terraneo sont infirmières, maitres d’enseignement la Haute école de sante de Geneve. Contact: severine.lalive-raemy@hesge.ch

Les références en lien avec cet article peuvent être consultées dans l’édition numérique sur www.sbk-asi.ch/app