«Un séjour en hôpital soulagerait mon épouse!»

(24 Heures Lausanne)

Tétraplégique, Carlos Kenedy vit à domicile mais aimerait offrir parfois un peu d’air à Véronique, son épouse proche aidante. Ni solution ni centres adaptés à son état n’existent.


Malgré les 1001 contraintes du quotidien, Carlos et Véronique Kenedy partagent une complicité hors norme. Marius Affolter

 

Thérèse Courvoisier
Quand on pousse la porte du joli appartement des Kenedy,au centre de Pully,une impression de bonheur prédomine. Les «chou» et«chéri» ponctuent les propos d’un couple fusionnel. Et quand Véronique propose de verser un peu d’eau à Carlos, on pense d’abord à une gentille attention avant de réaliser que c’est surtout parce qu’il est incapable de se servir seul.

Il y a 25 ans, l’étudiant en sociologie un brin idéaliste voit un accident transformer sa vie pour toujours. Devenu tétraplégique, le Suisse d’origine hispano-hongroise suit une rééducation d’un an au Centre des paraplégiques de Nottwil (LU). Il passe ensuite trois mois à Plein Soleil, un établissement lausannois appartenant à l’institution de Lavigny.Puis il trouve un petit appartement et décide de se donner les moyens,avec l’aide du Canton et le soutien important de Pro Infirmis Vaud, de vivre à domicile. C’était en 1993. Aujourd’hui, il souhaiterait parfois pouvoir soulager durant quelques semaines celle qui s’occupe de lui au quotidien. Mais aucune institution véritablement adaptée à son handicap ne peut l’accueillir.

En 2009, la vie de Carlos change du tout au tout. Pour le meilleur,cette fois. Par le biais d’un site de rencontre, il fait la connaissance d’une Genevoise prénommée Véronique. «On a discuté pendant un mois avant de nous voir, explique-t-elle avec un large sourire. On s’est donné rendez-vous à la gare de Lausanne…» «J’ai failli trouver une excuse bidon, j’étais mort de trouille,poursuit Carlos Kenedy. Je lui ai proposé d’aller manger un morceau. Comme j’étais en chaise manuelle, je lui ai demandé de l’aide.»«J’ai commencé à le pousser et c’était parti! Je ne voyais pas du tout son fauteuil, mais un homme qui m’a immédiatement séduite.» Pendant ce flash-back, ils ne se quittent pas des yeux, et c’est en s’adressant à celui qui est devenu son mari il y a quatre ans que Véronique Kenedy-Kolly ajoute: «Mais si je m’étais imaginé tout ce qui m’attendait au cours des dix années qui ont suivi,jamais je ne me serais embarquée dans cette aventure (rires)!»

Trois piliers essentiels

En tombant amoureuse et en dé-ménageant à Pully, elle devient par défaut proche aidante. «Je dispense de l’aide un peu tout le temps, ça ne s’arrête jamais, surtout au ni-veau de la charge mentale, explique cette éducatrice de la petite enfance qui travaille à 80%. Pour préserver notre vie de couple, on a décidé ensemble que je ne m’occupais pas des soins intimes. Il y a dix ans maintenant, Carlos a décidé de rencontrer une femme, pas une infirmière privée.»

Dans les faits, quelqu’un d’extérieur au couple passe deux heures et demie chaque matin chez eux.Un jour sur deux, c’est le CMS, le reste du temps du personnel privé engagé par les Kenedy. «Je suis très reconnaissant envers le Canton de pouvoir vivre chez moi, confirme Carlos Kenedy. Si c’est possible,c’est grâce à ces trois piliers: les soins à domicile du CMS, le personnel privé et ma femme.»

Pour être précis, le quadragénaire est immobilisé depuis la taille,mais garde l’usage partiel de ses mains. Il a besoin de soins bien spécifiques au lever avant de pouvoir démarrer sa journée. «Une fois que c’est passé (ou subi!), je consacre une grande partie de mon temps à mon activité professionnelle au sein du Bureau fédéral de l’Égalité pour les personnes handicapées (ndlr: qui organise le 3 décembre un colloque sur le thème du handicap et du logement). Sinon, j’aime aller boire un café en terrasse, regarder la vie qui passe.»

Ensemble, le couple est parvenu à trouver un appartement en Espagne adapté aux besoins de Carlos et les Kenedy s’y rendent chaque été après une organisation compliquée, en compagnie de deux étudiants infirmiers – «des gens magnifiques!» – dont ils paient les vacances et le salaire «Trouver un hôtel pourvu d’un lit électrique est vraiment compliqué», poursuit Carlos Kenedy qui ne compte plus les heures passées sur le Net.

Leur bonheur est évident. Mais ne tient qu’à un fil. Pour résister sur la durée, les Kenedy déplorent que leur situation ne soit pas davantage prise en considération, ni validée.Hormis leurs vacances, dont ils assument pleinement le financement,ils aimeraient que Carlos puisse bénéficier de temps en temps d’un court séjour dans une institution,qui assurerait ses soins comme à domicile, ce qui permettrait à son épouse d’avoir des moments de répit, histoire de se requinquer. «Ma demande date d’il y a plusieurs années, reprend calmement Carlos Kenedy. J’ai droit à 28 jours par an en institution et ma participation financière quotidienne s’élève à 60 francs. Ces dix dernières années,je suis allé trois fois à Plein Soleil,puisque c’est la seule qui existe.J’étais au bout du rouleau à mon arrivée, mais quand je suis rentré à la maison, c’était pire. Pourquoi?Les soins d’une personne para ou tétraplégique sont très spécifiques.Voir autant de gens vous aider et devoir toujours tout leur réexpliquer, c’était vraiment pénible au niveau de la dignité et de la fatigue.J’étais mort, mort, mort…»

Toujours moins de moyens

Très rapidement, Carlos Kenedy ajoute: «Attention, je ne veux pas critiquer Plein Soleil, qui fait tout ce qu’il peut. Le personnel est très stressé, il y a toujours moins de moyens. Parmi les demandes que j’ai faites au Canton, j’ai parlé du Centre suisse des paraplégiques à Nottwil ou de la Suva à Sion, des endroits plus stimulants pour moi et qui comprennent les besoins des para et tétraplégiques. Un séjour en hôpital, il y a pire comme de-mande, non? J’aimerais juste qu’on me dise: «On ne peut pas répondre à votre besoin aujourd’hui, mais on va réfléchir à des projets pilotes pour tenter de trouver des solutions.» Pour une petite semaine, je suis prêt à faire le cobaye pour que les choses changent.»

«Ou alors tu devrais faire comme dans le film «Intouchables» et engager quelqu’un à temps plein, conclut avec humour Véronique Kenedy. Omar Sy me conviendrait assez bien, je dois dire (rires)!»

Le Canton souligne sa volonté de soulager les proches

Du côté de la Direction générale de la cohésion sociale du Département de la santé et de l’action sociale, dirigée par Fabrice Ghelfi, nous avons obtenu des réponses qui n’entrent malheureusement pas dans le détail. Et les autorités ne se prononcent pas sur ce cas précis. «Un de nos objectifs est de proposer à toutes les personnes en situation de handicap ou de dépendance et vivant à domicile des prestations d’accompagnement qui permettent de soulager leurs proches, rappelle-t-il. Les personnes en situation de handicap peuvent par exemple bénéficier de courts séjours dans un établissement socio-éducatif.Si elles ont besoin d’un suivi médical, elles ont la possibilité d’effectuer un court séjour dans certains établissements médico-sociaux spécialement adaptés.»La volonté est donc là, mais n’apparaît en réalité pas comme évidente au cas par cas.

Place ensuite aux chiffres.«L’offre en court séjour médicalisé, qui concerne sur tout des personnes âgées, répond à la demande et n’est pas très limitée dans le canton de Vaud. Selon nos chiffres de 2017, dans le canton,26 institutions ont proposé des places de court séjour médicalisé.Ce sont environ 200 lits. Plus de2700 personnes en ont bénéficié.En 2017, le taux d’occupation s’est élevé à 60%.» La Direction générale de la cohésion sociale confirme également que Plein Soleil, de la Fondation de Lavigny, est l’une des structures habilitées à accueillir des personnes plus jeunes en situation de handicap,contrairement à certains EMS quine sont pas adaptés.

En théorie, les efforts du Canton sont tout à fait louables.Mais ils restent parfois difficiles à mettre en place concrètement.«Les proches aidants et leurs aidés ont souvent l’impression de ne pas être entendus», explique Rémy Pingoud, président de l’Association vaudoise de proches aidants, dont un des rôles est de servir de relais entre leurs membres et les autorités. «Il y a beaucoup de situations où tout se passe bien, mais certains cas semblent kafkaïens. De l’extérieur, ils semblent résolubles avec un peu de bonne volonté en rassemblant tous les acteurs autour d’une table. Je ne connais pas les Kenedy, mais je sais que le risque d’épuisement est réel et que leur demande n’est pas à prendre à la légère.Normalement, c’est le Brio (bureau d’information et d’orientation) du Réseau de la Région Lausanne qui devrait faire le lien entre eux et le Canton, mais la coordination semble ne pas fonctionner dans ce cas précis pour le moment. Ça bloque souvent plus pour une question d’attitude que de moyens.»T.C.

Spectateurs en fauteuil roulant aux petits oignons

(20min.ch)

par Abdoulaye Penda Ndiaye –

Des étudiants sont chargés de l’accueil des personnes à mobilité réduite lors de la Fête des vignerons. Cela fait partie de leur formation.


Entre les bénévoles et leurs «clients», la complicité est de mise. (Photo: apn)

 

Assis sur son fauteuil roulant, Gabriel s’extasie pendant qu’une jeune femme en T-shirt rouge le dirige vers l’entrée de l’arène réservée aux personnes à mobilité réduite. «J’ai la plus belle des bénévoles et tout le service est im-pec-ca-ble!» complimente-t-il sans se douter que derrière lui, l’étudiante de la Haute École de santé Vaud est devenue toute rouge. Du tac au tac, une femme handicapée à côté du sexagénaire réplique: «La mienne aussi est extra.»

La retraitée valaisanne Marie-Laure, qui a assisté à l’une des premières représentations de la Fête des vignerons, est encore plus dithyrambique. «On nous avait remis une feuille à agiter en cas de problème. Quand les lance-flammes étaient en action ou lorsque les vaches défilaient, quelqu’un du staff était là pour veiller à ce que tout se passe bien», souligne-t-elle. À chaque soir de représentation de la Fête des vignerons, quelque 90 places sont prévues pour les personnes à mobilité réduite, avec un prix d’entrée fixé à 79 fr.

Parmi les bénévoles qui s’occupent de ces spectateurs, il y a une vingtaine d’étudiants de la Haute École de santé Vaud. Pour eux, cette prestation est une occasion de valider une partie de leur formation pratique. La reconnaissance des spectateurs les conforte dans la pertinence de leur action et renforce leur confiance. On passe du «je vous soigne» vécu en milieu hospitalier au «je vous offre mon service pour vous permettre de vivre la Fête au mieux», analyse Françoise Ineichen, responsable des étudiants de la Haute École à la Fête des vignerons.


Prévenir et aider

En tout, 60 étudiantes et étudiants en soins infirmiers de la Haute École de santé Vaud sont les ambassadeurs santé de la Fête. Ils sont répartis en trois groupes. Une de leurs missions, au cours de cette manifestation qui célèbre le vin, est aussi de sensibiliser aux excès d’alcool. «Du simple coup de main à la prise en charge, ils sont là pour permettre aux spectateurs de vivre au mieux cette fête. Elle n’a lieu qu’une fois tous les vingt ans et est ancrée dans les coeurs», rappelle Françoise Ineichen.


Doléances des handicapés entendues

(La Liberté)

Les CFF ont changé d’avis: il sera désormais possible de réserver un siège au rez des trains duplex

ARIANE GIGON, ZURICH

Réserver un siège lorsqu’on sait que l’occupation du train sera forte: un bon moyen de s’épargner un stress inutile. Pourtant, ce service n’est pas, à l’heure actuelle, accessible à tout le monde. Dans les trains à deux étages, il n’est possible de réserver qu’au ni-veau supérieur. Ce qui exclut les personnes à mobilité réduite,qui doivent espérer trouver de la place sur les sièges qui leur sont,en principe, alloués au rez-de-chaussée. Après de nombreuses protestations, les CFF ont décidé de modifier le système.

C’est le Syndicat du personnel des transports (SEV) qui a raconté, dans son journal, la mésaventure, reprise ensuite par CH Media, de trois personnes, dont deux se déplaçant très difficilement: le trio avait réservé des sièges pour une excursion qui commençait tôt le matin, dans le train Zurich-Lausanne habituellement bondé. Or ces trois sièges se trouvaient à l’étage. Et il s’est avéré particulièrement difficile pour l’une des personnes d’y arriver.

«Pas besoin de réserver»

La particularité aura peut-être échappé au commun des voyageurs: dans les trains à deux étages, il est impossible de réserver au rez-de-chaussée. Le site internet des CFF ne le précise du reste pas. Raison à cette restriction: «Le système informatique a été conçu ainsi, car il y a davantage de places assises au niveau supérieur, explique la porte-parole Ottavia Masserini.De cette façon, nous garantis-sons aussi qu’un nombre suffisant de places reste disponible.»


Les personnes handicapées n’auront plus besoin de monter les escaliers pour accéder à une place réservée.Charly Rappo/archives

 

Jusqu’à jeudi soir, les CFF insistaient sur le fait que les personnes à mobilité réduite n’ont pas besoin de réserver, puisque des sièges sont spécialement prévus pour elles, marqués par un pictogramme, à l’entrée des wagons. «La décision de mettre ces places gratuitement à disposition résultait d’une concertation avec les organisations de personnes handicapées», précise la porte-parole.

Le trio qui avait dû à grand-peine «grimper» à l’étage s’est quand même vu rembourser le montant des trois réservations(15 francs). «Cela n’aurait pas dû arriver, admet la porte-parole. Ces personnes auraient dû être informées qu’elles n’avaient pas besoin de réserver.»

«Inégalité de traitement»

Et si les places pour handicapés sont déjà occupées par des passagers valides? «Dans la grande majorité des cas, il n’y a pas de problème à leur demander de les libérer, note Ottavia Masserini.Nous comptons sur la civilité de nos clients.»

«Nous comptons sur la civilité de nos clients»
Ottavia Masserini

Les organisations représentant les personnes handicapées ne sont évidemment pas de cet avis. «Les prestations doivent être accessibles à tous,handicapés comme non-handicapés, explique Caroline Hess-Klein, cheffe du département égalité de l’association faîtière Inclusion Handicap.Toute dérogation est une inégalité au sens de la loi, sauf si la mesure permettant de corriger cette inégalité est disproportionnée. Mais il ne me semble pas qu’ouvrir le système de réservation à l’étage du bas soit une mesure disproportionnée.»

Hier, les CFF sont manifestement parvenus à la même conclusion. «Nous nous sommes rendu compte qu’avec les nouvelles affluences dans nos trains, il fallait revoir le système, révèle Ottavia Masserini. C’est pourquoi nous avons décidé de supprimer la restriction de la réservation à l’étage, selon des modalités qu’il faudra encore élaborer.» La compagnie ne peut pas encore dire quand le changement interviendra.

«Bonne nouvelle»

Inclusion Handicap se dit «très heureuse» de la nouvelle, tout en insistant: «Nous attendons la mise en œuvre réelle, il ne faudrait pas que cela reste une vaine promesse.»

De son côté, Pro Bahn, qui défend les intérêts des usagers des chemins de fer, avait également critiqué l’actuel système.«La décision des CFF d’améliorer leur système est une bonne nouvelle, qui nous surprend car, jusqu’ici, cela n’était pas une priorité des CFF», indique sa présidente Karin Blâttler,pour qui le système de réservation des CFF est «complètement dépassé».

Actuellement, poursuit-elle,ce sont les principaux concernés qui doivent faire valoir leurs droits si les sièges sont pris. «Une personne en chaise roulante y parvient probablement plus facilement, car son handicap est visible. Mais pour celles ou ceux qui auraient des béquilles, je doute que,dans un train bondé, cela soit facile.»

Avec un système de réservation n’excluant aucune partie du train ni aucun usager, les CFF pourront réaliser la pro-messe de leur site internet: «Une place assise à coup sûr.»

Un autre dossier, celui des modalités d’accès pour les handicapés dans les nouveaux trains Bombardier, est encore pendant au Tribunal fédéral.

La Fête des Vignerons vue par des aveugles

(lematin.ch)

A l’occasion de la représentation du jour, nous avons suivi un groupe de spectateurs « handicapés de la vue » qui ont mis tous leurs sens en éveil pour jouir eux-aussi pleinement de l’historique spectacle.


Chaque «handicapé de la vue» était escorté d’un guide voyant qui lui a décrit le spectacle. Image: Le Matin/Darrin Vanselow

 

«Je suis contente d’avoir pu voir ça avant de perdre complètement la vue! Si je n’étais pas venue, j’ai la sensation qu’il me serait manqué quelque chose du patrimoine suisse!»

Il y a vingt ans, Marie Lorwich, 52 ans, pensait pourtant que la Fête des Vignerons était un truc de vieux. La rétinite pigmentaire, redoutable maladie génétique dégénérative et irréversible, ne s’était pas encore déployée en elle avec son cortège de souffrance mais aussi d’éclairantes prises de conscience… Ce mardi à Vevey, ils étaient une trentaine de membres de la section vaudoise de la Fédération suisse des aveugles (FSA), comme elle, à être venus assister à la représentation diurne du spectacle.

La Suisse plutôt en avance

Leur arrivée au pied de l’entrée F de l’arène de 20 000 places n’est pas passée inaperçue. Fendant la foule, coiffés de casquettes bleues portant le sigle de leur association, armés de leur canne blanche et escortés d’un accompagnateur voyant chacun, ces spectateurs pas tout à fait comme les autres se réjouissaient d’assister au spectacle à leur façon.

A savoir un peu avec la vue pour ceux qui en avaient encore, et aussi beaucoup avec les oreilles et leurs autres sens. «C’est clair qu’on ne va pas tout voir mais nos accompagnants vont nous décrire ce qui nous échappe et nous allons capter l’ambiance», expliquait Pierre Calore avant le début du spectacle.

L’Aiglon de 52 ans préside la section vaudoise de la FSA et se bat pour que la culture reste accessible à ceux qu’ils appellent «les handicapés de la vue». En Suisse, la chose est en assez bonne voie. Certains musées ou même certains cinémas jouent par exemple le jeu de l’audioguide, mais il y a encore du travail.

Le metteur en scène conquis

Apparemment, le Tessinois Daniele Finzi Pasca, metteur en scène du spectacle le sait. Le Tessinois a en effet intégré des handicapés parmi les 5 500 acteurs-figurants officiant dans sa création. Abordé avec culot en plein préparatifs d’avant spectacle par Marie Lorwich, le quinquagénaire lui prend les mains chaleureusement et échange avec plaisir avec elle, là où on s’attendait au mieux à une sorte d’agacement contenu vu les circonstances.

«Ça ne me surprend pas de voir des malvoyants ici. La perception des choses va bien au-delà de la vue. Certains chamans, capables de ressentir des choses se passant à des kilomètres d’eux, le montrent», lâche ensuite mystérieusement l’artiste avant de replonger dans ses préparatifs.

La vue baisse mais la lucidité augmente…

Ici, les handicapés de la vue sont bichonnés. Ils sont assis à quelques mètres de la scène. L’air déplacé par les comédiens leur rafraîchit le visage en ce jour de canicule. Le bruit de leurs pas se prolonge en vibrations jusqu’à eux. Leurs parfums viennent éveiller leurs narines. «Et puis il y a leur joie communicative, qui même dans la pénombre ou le noir total, se ressent», confie Sabrina Faretra, qui ne voit plus que des ombres mais qui reste lumineuse malgré ou même grâce à cela.

La mère de famille de 43 ans a fini par accepter son handicap et comme beaucoup d’autres ayant parcouru avant elle ce douloureux chemin, elle y a gagné en sérénité, et paradoxalement, en lucidité. La Vaudoise se voit comme une battante. Aucun déplacement ne lui fait plus peur. Les bains de la Gruyère ou encore l’ONU à Genève ont déjà eu droit à ses visites.

Tout commence et finit autour d’un verre

«Aujourd’hui, je suis comblée. Je partage beaucoup avec d’autres personnes handicapées de la vue. Nos visions se complètent ou se recoupent. Il y a beaucoup de partage. Tous nos autres sens sont en éveil, ce qui nous permet de jouir nous aussi de cette fête des vignerons.»

Celui du goût sera mis à contribution lors du banquet d’après spectacle. La joie ambiante est amplifiée dans les décis de bon blanc et les partages qui en découlent. Pierre Calore jubile: «Sur un événement comme celui-là, on est happé par nos ressentis. Moi par exemple, le «Ranz des vaches» m’a donné des frissons. Alors on ne voit pas tout c’est bien clair, mais quel grand bol d’émotions!»

Les sourds veulent être reconnus comme minorité linguistique

(tdg.ch)

La Fédération suisse des sourds exige une reconnaissance juridique de la langue des signes. L’objectif est, à terme, de mieux inclure les personnes malentendantes dans la société.


On estime à 10 000 le nombre de sourds qui vivent en Suisse, auxquels il faut ajouter un million de malentendants.
Image: Keystone

 

Imaginez: vous êtes à l’hôpital et personne ne vous comprend, car tout le monde parle chinois. Ce cauchemar, c’est la réalité des 10’000 personnes sourdes de Suisse lorsqu’elles arrivent aux Urgences et qu’elles n’ont pas accès à un interprète en langue des signes. «Cela m’est déjà arrivé, confie Christian Gremaud, responsable communication à la Fédération suisse des sourds (FSS). C’est une situation d’autant plus difficile à gérer que vous êtes dans un état de détresse. J’ai eu l’impression d’être mis de côté, et lorsqu’on s’est enfin occupé de moi, de rester totalement hors de ce qui se passait.» La Suisse est à la traîne. «En France, certains hôpitaux sont spécialement organisés pour l’accueil des sourds.»

Longtemps, les personnes malentendantes sont restées discrètes sur les discriminations subies (voir encadré). Les choses sont en train de changer. La FSS mène depuis quelques années un important lobbying auprès des élus fédéraux. Un travail qui s’est concrétisé au travers de cinq postulats identiques, déposés en juin par les conseillers nationaux Christian Lohr (PDC/TG), Marco Romano (PDC/TI), Regula Rytz (Verts/BE), Mathias Reynard (PS/VS) et Barbara Gysi (PS/SG).

Le texte a deux visées. Tout d’abord, la reconnaissance juridique des trois langues des signes (ndlr: elles sont différentes que l’on soit en Romandie, en Suisse alémanique ou au Tessin). «Elles doivent être reconnues légalement, mais aussi soutenues politiquement», précise Marco Romano. L’autre point est la réalisation d’un rapport listant des mesures concrètes d’action pour en finir avec les discriminations. «Toutes les personnes en Suisse doivent pouvoir participer à la vie politique, sociale et professionnelle», explique Regula Rytz. «L’idée de ce postulat est de sonder le terrain, résume Sandrine Burger, porte-parole de la FSS. De voir jusqu’où les autorités sont prêtes à aller.»

La santé, mais aussi le travail et l’éducation

Il est question notamment d’accessibilité aux soins de santé, mais aussi de travail et d’éducation. «Pour les sourds, la langue des signes est la langue maternelle, clef de leur développement, peut-on lire dans le postulat. Or les compétences en lecture et en écriture sont plus faibles en raison d’une éducation bilingue insuffisante en langue des signes.» Le résultat est sans appel: les personnes sourdes sont trois fois plus touchées par le chômage. Un combat tout sauf anecdotique. Si on estime à 10’000 le nombre de sourds qui vivent en Suisse, il faut y ajouter un million de malentendants.

La Confédération, elle, se défend de rester les bras croisés. Un arsenal juridique existe. Tant la Constitution que la loi sur les handicapés ou la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées sont censées protéger les personnes sourdes de toutes discriminations. «L’an dernier, le Conseil fédéral a aussi adopté un rapport, qui prévoit diverses mesures visant à promouvoir l’égalité des chances pour les personnes handicapées, en particulier au travail et dans l’autonomie de vie, précise Andreas Rieder, responsable du Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées. L’accent est mis sur l’accessibilité – notamment numérique – de la communication.»

Qu’offrirait une reconnaissance juridique de la langue des signes? «Cela dépend de la forme concrète que prend cette reconnaissance, répond prudemment Andreas Rieder. Mais aujourd’hui, la loi fixe déjà des exigences quant à la manière dont les préoccupations des malentendants doivent être prises en compte.» Il reconnaît toutefois que les dispositions légales sont encore trop peu connues. «Un autre instrument important pour assurer l’application de la législation est la possibilité de porter plainte.» Un discours qui ne ravit qu’à moitié la FSS. «Les lois existent, mais on n’arrive pas à les faire respecter, rétorque Sandrine Burger. Quand on parle d’égalité, tout le monde est d’accord, mais lorsqu’il est question de coûts ou de bureaucratie, ça devient tout de suite plus compliqué.» Mais elle a l’impression que les choses peuvent enfin changer. «Il n’y a pas si longtemps, les autorités tenaient le même discours avec le romanche. On se posait la question de l’intérêt de traduire certains documents officiels pour quelques milliers de locuteurs.» Aujourd’hui, cette obligation n’est plus remise en cause.