Au théâtre,avec son casque

(lecourrier.ch)

L’Association Ecoute Voir propose une série de spectacles accessibles aux aveugles et malvoyants grâce à l’audiodescription. Rencontre avec sa responsable.

Cécile Dalla Torre


Ecoute Voir a reçu le label «Culture inclusive» de Pro Infirmis en décembre. Laurent De Senac

 

«Une minute de spectacle représente une heure de travail d’audiodescription», explique Corinne Doret Baertschi. Car rien n’échappe aux audiodescripeurs-trices, qui décrivent en direct aux aveugles et malvoyants les changements de décor, les costumes, les expressions du visage, les gestes des comédiens qui se déroulent dans le silence. En somme, tous les éléments visuels sur un plateau de théâtre non perceptibles par les personnes atteintes d’un handicap de la vue -à savoir une personne sur vingt-cinq en Suisse.Dans un local à côté de la scène, les audiodescripeurs-trices suivent chaque représentation de près. Mûrement préparée, la description lue à haute voix au micro est trans-mise au public malvoyant, muni d’un casque et installé aux trois premiers rangs de la salle.«Selon les théâtres, il est parfois difficile de caser un chien d’aveugle. Mais on parvient toujours à trouver des solutions»,s’enthousiasme la médiatrice en charge de l’Association Ecoute Voir. Celle-ci a obtenu le label«Culture inclusive» par Pro Infirmis en décembre dernier.

L’audiodescription, dès 2011Son but est de favoriser l’accès aux arts vivants des spectateurs en situation de handicap sensoriel, ce qui inclut les sourds et malentendants. Cela passe par l’audiodescription, la visite des décors en amont des représentations, ou la traduction des spectacles en langue des signes en collaboration avec le Projet Sourds & Culture.«C’est au Théâtre de Vidy qu’a eu lieu la première audiodescription en Suisse romande.»

Corinne Doret Baertschi y a travaillé pendant huit ans, jusqu’en 2013. L’Usage du monde, adaptation par Dorian Rossel du récit de Nicolas Bouvier, a ainsi ouvert la marche d’une pratique déjà en place depuis une vingtaine d’années en France.«Avant 2011, cela n’existait pas en Suisse. A cette époque, le directeur de Vidy, René Gonzalez, a voulu ouvrir les portes de son théâtre à un plus large public.» Conjointement, Genève fêtait le tricentenaire de la naissance de Rousseau et souhaitait audiodécrire un spectacle qui lui était consacré. «Nous avons d’abord mandaté l’audiodescriptrice française Séverine Skierski. Puis, très vite, la Fédération suisse des aveugles et malvoyants a estimé qu’il fallait former des audiodescripteurs romands.» Quatre comédiens suisses, Laurence Amy, Paolo Dos Santos, Selvi Purro et Stéphane Richard, sont devenus rapidement opérationnels.Dans chaque canton«L’accessibilité pour les personnes avec handicap existait dans deux grandes villes, Genève et Lausanne, mais malheureusement pas ailleurs.L’idée était de la développer dans toute la Suisse romande», pour-suit Corinne Doret Baertschi,qui a fondé l’association en 2014. Sa mission englobe essentiellement la recherche de fonds, la promotion, la communication, le choix des spectacles,l’accueil des publics.

Cette saison, Ecoute Voir propose huit spectacles, choisis de concert avec les personnes atteintes de cécité ou d’un handicap visuel membres du comité de l’Association. Du théâtre essentiellement: la dernière comédie de la Genevoise Manon Pulver Mais qui sont ces gens? sur l’ingérence du portable dans nos vies a été présentée au Loup(Genève), au Crochetan (Monthey), à Nuithonie (Fribourg) et au Reflet (Vevey). Frida Kahlo, autoportrait d’une femme, mis en scène par Martine Corbat et Yvan Rihs, sera à l’affiche du Casino Théâtre de Rolle le 15 mars et de la Salle de l’Inter(Porrentruy) le 28. Amour et Psyché, tragicomédie de Molière adaptée par Omar Porras, est programmé en avril à Nuithonie, et Orphée et Eurydice en mai à l’Opéra de Lausanne.Pour le jeune public, El Cid est aussi à voir en mai au TKM(Renens) et Le Journal d’Anne Franck continuera sa tournée àl’Alambic (Martigny) le 28 février, avant le Théâtre de Carouge et le CPO (Lausanne) en avril. «Le but est d’être présents une fois dans chaque canton durant la saison.» Côté danse, Bienvenue d’Eugénie Rebetez, accueilli à La Grange de Dorigny le 5 avril, a étrenné le principe en 2017. Mais il reste encore à former des spécialistes à même d’audiodécrire la discipline. Corinne Doret Baertschi, elle, poursuit sa mission avec ferveur, arpentant les théâtres romands pour que l’offre puisse se diversifier sur le territoire.