Les policiers confondent un passant hémiplégique avec un homme armé

(tdg.ch)

Le handicapé, interpellé par erreur, a porté plainte pénale contre les fonctionnaires. La justice tranchera.


Le lieu de l’arrestation litigieuse en face de l’hôpital cantonal.
Image: Laurent Guiraud

 

La boulette. La bourde. Le malentendu. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de la police que les agents, pris dans le feu de l’action, se trompent de personne. En revanche, confondre un dangereux individu armé avec un hémiplégique en promenade est chose plus rare.

Cette méprise, qui vient de faire l’objet d’une ordonnance de classement du Ministère public, est survenue un soir de l’été 2017 près de l’hôpital. La victime, handicapée depuis l’âge de 2 ans, se rend à pied à l’arrêt du bus 5, assistée par sa nièce. Soudain, un policier pointe son arme sur lui. Pourquoi? Le client d’un bar situé en face des HUG vient d’appeler les forces de l’ordre en expliquant qu’un individu titubant, âgé de 40 ou 50 ans, joue avec un revolver dans la rue. Il décrit au téléphone un homme maigre, portant une chemise et une petite barbe.

Silence gêné

Aux yeux des policiers, ce signalement correspond dans les grandes lignes au plaignant. D’emblée, un agent somme la nièce de s’éloigner et ordonne au plaignant de lever les bras au ciel. Le malheureux ne peut que bouger son bras valide. Le policier constate qu’il garde l’autre main dans la poche de son gilet et craint qu’il n’y dissimule un pistolet. Ni une ni deux, plusieurs agents l’attrapent et le plaquent au sol. L’un d’eux l’immobilise sur le bitume avec son genou pendant qu’un autre fouille le sac de la nièce. À un moment donné, le client du bar accourt et crie aux policiers qu’il s’agit du «mauvais individu». Silence gêné des agents qui relèvent l’hémiplégique.


«Il ne peut leur être reproché d’avoir ignoré qu’il était hémiplégique»
Olivier Jornot, procureur général


Il n’empêche, l’homme, sous le choc, doit être hospitalisé: il a souffert d’une amnésie partielle, d’un stress aigu et d’hématomes. Quelques mois plus tard, il dénonce les faits à la justice. L’été dernier, le procureur général, Olivier Jornot, ordonne l’ouverture d’une instruction pénale contre quatre policiers présents pour abus d’autorité et lésions corporelles simples.

Dans son ordonnance, rendue ce printemps, il relève que les lésions causées au plaignant étaient couvertes par la mission des policiers, que ces derniers avaient fait un usage de la force légitime et proportionnel après plusieurs injonctions. Pour Olivier Jornot, l’intervention s’est limitée aux actes strictement nécessaires à l’interpellation «en toute sécurité d’une personne potentiellement armée»: les fonctionnaires ont agi de la sorte car l’homme correspondait au signalement, «il ne peut leur être reproché d’avoir décidé de procéder à son contrôle, tout comme il ne peut leur être reproché d’avoir ignoré qu’il était hémiplégique. L’usage de la force a cessé une fois le doute levé.» L’ordonnance résume l’épisode à un «malheureux concours de circonstances». La procédure a été classée et les frais de procédures mis à la charge de l’État. Ce dernier octroie aussi au total 3000 francs aux policiers pour leur frais de défense.

Les excuses des agents

Dans le camp des quatre policiers blanchis, c’est la satisfaction générale. Me Robert Assaël salue cette décision: «La personne interpellée collait au signalement qui précisait que l’homme avait un revolver. Pour d’évidentes raisons de sécurité, les policiers devaient agir et vite. Malheureusement, ce n’était pas la bonne personne. Les agents lui ont bien sûr présenté leurs excuses.» Pour Me Jean-François Marti, cet épisode est une «regrettable mais inévitable méprise. La sécurité publique nécessitait l’intervention. L’attitude des gendarmes a été irréprochable.» Me David Bitton note «que le classement résulte d’une enquête complète conduite par l’IGS (la police des polices) et que la décision de ne pas poursuivre n’est pas due à la faveur du matricule». Me Jacques Roulet conclut: «S’il s’était agi d’une personne armée et dangereuse, ce que tout pouvait laisser penser, il était de leur devoir d’agir. Qu’on n’aille dès lors pas leur reprocher de faire leur travail au mieux de leur conscience et pour assurer la sécurité du public. On a vite fait de reprocher aux policiers d’avoir manqué à leurs devoirs.»


«Une bavure qui aurait pu être évitée»

Lundi, le plaignant a contesté le classement devant la Chambre pénale de recours, comme nous le confirme son avocat Me Christian Dandrès: «Mon client n’a pas pour but de faire condamner ces policiers, mais de s’assurer que de telles bavures qui auraient pu être évitées ne se reproduisent pas. L’homme recherché était décrit comme un homme, de 40
à 50 ans, blanc, de type européen, de taille moyenne, assez maigre, porteur d’une chemise, avec des cheveux mi-longs, mal rasé et vêtu d’un jeans. Or voici le signalement de mon client: basané, de type méditerranéen, non svelte, 62 ans au moment des faits, hémiplégique, partiellement chauve avec cheveux blancs, barbe, vêtu d’un gilet et d’un pantalon. Mon client aurait pu se satisfaire que les autorités pénales jugent que la culpabilité des policiers faisait défaut, eu égard par exemple au fait que les policiers ont tenté de réparer leur erreur en amenant mon client à l’hôpital.»

Mais selon l’avocat, ce n’est pas le raisonnement fait par le Parquet: «Mon client ne saurait admettre que son interpellation soit cautionnée et jugée comme exempte de toute critique par Monsieur le Procureur général. En agissant ainsi, ce dernier empêche que la police puisse procéder à une analyse de cette affaire, réfléchir à ses pratiqueset en tirer les conséquences dans l’intérêt des citoyens.»

F.M.