Les lumières des projecteurs effacent les différences

(tdg.ch)


Jean-Michel, atteint d’autisme «Mes connaissances et mes parents sont fiers de moi. Je suis touché, ému. Je suis heureux»

 

«J’ai rencontré plein de gens. Ceux qui me connaissent depuis toujours me disent qu’ils sont fiers de moi. Mes parents aussi. Ils sont étonnés de ce que je sais faire. Je suis touché, ému. Je suis heureux. Et la première dans l’arène, wow!, j’ai tellement pleuré à la fin de notre tableau!» Il faut entendre Jean-Michel, atteint d’autisme, exprimer, avec ses mots et tout son cœur, son plaisir à faire partie des figurants.

«À chaque représentation, il nous tire des larmes», raconte Karen Rochat, de la Fondation Sport-Up. Cette dernière est responsable du groupe de 23 personnes, dont 11 valides, qui permet à des autistes, myopathes et IMC d’exécuter la chorégraphie en cercle à côté des pistes des gymnastes dans le tableau Tout feu tout flamme.

Selon la coach, le bénéfice majeur de l’expérience tient en un mot: reconnaissance. «Ils garderont des souvenirs pour la vie. Les valides aussi d’ailleurs, qui apprennent à mieux appréhender la différence dans un contexte où elle tend à s’effacer. Du reste, elle est où? Au final, qu’entend-on par handicap?»


Jeanne Gollut n’a qu’un seul avant bras et tient sa flûte de pan avec le haut de son bras «Je ne me considère pas comme handicapée. Mon instrument a guidé ma vie. Il est ma force»

 

Chez Jeanne Gollut, l’une des six solistes et Papillon du tableau de la Poésie de l’eau, la flûte de Pan fait partie intégrante de son être. Quand elle la porte à bout de bras, on ne remarque même pas l’absence de sa main droite. Et à entendre parler la virtuose et professeure au Conservatoire de Montreux-Vevey, son handicap de naissance est devenu une chance. «Si j’avais eu deux mains, j’aurais peut-être fait du piano et je n’aurais jamais suivi la carrière qui est la mienne. Mon instrument est ma force.»

La Veveysanne savoure chaque instant de cette Fête dont elle salue l’ouverture: «Avec mon handicap, on me reconnaît très vite une fois le spectacle terminé, on vient me féliciter. J’aime l’idée qu’on ne le voit pas durant le spectacle. Cela lui donne un caractère normal. Je ne me considère du reste pas comme handicapée, mais je trouve appréciable que le spectacle ait offert à tous de participer. Ma différence se remarque, alors que j’ai rencontré des figurants qui entendent ou voient mal, qui sont paralysés d’une partie de leur corps, etc., et leurs maux ne sont pas apparents.»


Valentin «Ce que je préfère, c’est la samba avec Melissa. Je serai triste quand la Fête sera terminée»

 

L’enthousiasme de Valentin a fait de lui la véritable mascotte de la troupe de la Saint-Martin. Daniele Finzi Pasca lui a même envoyé une petite vidéo pour son anniversaire, le 31 juillet. Comme à son habitude, à quelques minutes de l’entrée en scène, le jeune trisomique de Savuit, au-dessus de Lutry, est en première ligne de son groupe, bien campé devant le rideau. Sa «mam’s» Éliane, figurante à ses côtés, observe depuis l’arrière. Elle sait quand son fils de 21 ans, qui a ses habitudes, préfère qu’elle se tienne à distance. Parce qu’ici, il est comme tous les autres. «Ce que je préfère, c’est la samba avec Melissa. Les Effeuilleuses aussi, et les Cent-Suisses. Les Poissons, par contre, j’aime pas.» Encore quelques «tape-m’en cinq», puis il lève le poing en imitant le régisseur.

5, 4, 3, 2, 1: il a déjà entamé ses premiers pas de danse. «Pas une fois l’équipe nous a fait sentir que sa présence aurait pu poser problème, explique Jean-Samuel, le papa, lui aussi figurant. Il s’est senti valorisé et c’est pour ça qu’il est à fond.» Du reste, Valentin le sait déjà: «Je serai triste quand cela sera terminé.»

Quand le handicap devient une valeur ajoutée

La richesse du spectacle de la Fête des Vignerons tient aussi à ces petites pépites souvent cachées aux yeux du public depuis les estrades. Un peu comme les détails d’un tableau qui échappent à l’œil nu dans un premier temps et donnent encore plus de valeur à l’œuvre quand ils se révèlent. Ainsi l’a voulu Daniele Finzi Pasca: un spectacle ouvert à toutes les différences, sans le crier haut et fort. Sans forcer le mouvement. Simplement en permettant à tous de prendre part à ce vaste mouvement d’ensemble où, durant trois heures, le handicap n’en est plus un.

«L’inclusivité fait partie de notre travail, elle est fondamentale si l’on veut que cette Fête soit celle de tous, explique le metteur en scène. Nous avons voulu travailler sur ces fragilités, notamment avec des sportifs de haut niveau.» Une allusion au tableau des gymnastes, qui mêle personnes en situations de handicap, valides amateurs et athlètes de très bon niveau. Plus encore, il fait référence à Sofia Gonzalez, l’incontournable Messagère, qui incarne mieux que quiconque cette notion d’inclusivité.

La triathlète unijambiste, candidate pour une place aux Paralympiques de Tokyo 2020, contribue par ailleurs à dépoussiérer le personnage qu’elle incarne. On sait l’attachement de Daniele Finzi Pasca à mettre les femmes dans des rôles clés du spectacle, de même qu’à intégrer un maximum d’éléments contribuant à une forme de mixité qui tranche quelque peu avec la tradition d’antan.

Mixité

Mixité de genre, de culture (avec notamment le superbe numéro de capoeira du Brésilien Sival de Oliveira dans la scène de la Noce ou le «docteur» Aké Béda), de danses (samba, capoeira) ou d’influences orientales (taï-chi). «L’objectif est d’ancrer ce spectacle dans notre temps, et pour ce faire, les signes doivent changer», ajoute le Tessinois.

Qui émet un grand regret en évoquant le refus de la Confrérie des Vignerons d’intégrer un couple représentant la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) dans la scène de la Noce: «Ce choix m’a étonné. Toute l’équipe artistique y était favorable. Mais il faut aussi savoir écouter ceux qui connaissent le mieux leur environnement.»