Handicapés, les sacrifiés du Covid ?

(tdg.ch)

Les associations Inclusion Handicap et Agile.ch prennent leur défense. Le directeur médical des HUG apaise les inquiétudes.


Les handicapés ne sont pas dans une situation facile, avec le Covid-19. KEYSTONE/MARTIAL TREZZINI

 

Laurence Bézaguet

La circulation virale très élevée met tout le système sanitaire genevois à rude épreuve. Nous vous indiquions dans notre édition de vendredi que l’IMAD – Institution genevoise de maintien à domicile- avait ainsi considérablement modifié son mode de fonctionnement pour soulager les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et éviter que ceux-ci ne procèdent à un tri des patients. Soit le fait de choisir ceux qui seront soignés et ceux qui seront sacrifiés en cas de surcharge.

Si on devait en arriver à une extrémité aussi épouvantable, les plus vieux seraient privés de soins intensifs, selon les directives nationales élaborées par des experts chevronnés en mars. Ce document de référence précise toute-fois bien que l’âge ne doit pas être un facteur dans l’absolu. Le pronostic à court terme et le bénéfice attendu d’un séjour aux soins intensifs sont les critères décisifs, quelque soit l’âge. Or, celui-ci, dans le cas précis du Covid, influence grandement l’issue de la maladie.«Si, par hypothèse, une étude devait infirmer la valeur de l’âge comme facteur prédictif, il faudrait le retirer des critères d’admission, note la bioéthicienne et médecin genevoise Samia Hurst,qui a participé à l’élaboration des directives suisses. Dans biend’autres maladies, l’âge n’est pas à lui seul un facteur de risque pronostique.»

Échelle de fragilité

On le voit, l’affaire est aussi glaçante que complexe dans son interprétation. Inquiets, les défenseurs des personnes handicapées montent aujourd’hui au front:«L’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) vient de renforcer les critères de triage dans les cas de pénurie de ressources en médecine des soins intensifs.Pour les personnes de plus de 65 ans, elle se fonde sur une«échelle de fragilité clinique» quia déjà été fortement critiquée à l’étranger pour son effet discriminatoire sur les personnes handicapées», dénoncent les associations faîtières Inclusion Handicap et Agile.ch, dans un communiqué daté du 10 novembre.


«Aucune discrimination liée à une situation de handicap n’est acceptable.»
Arnaud Perrier Directeur médical des HUG


Précisions de Caroline Hess-Klein, au nom d’Inclusion Handicap: «Parce que«l’échelle de fragilité» est basée sur la dépendance d’une personne à l’aide de tiers, elle conduit au fait que les personnes handicapées sont exclues d’un traitement médical intensif plus souvent que la moyenne, bien que cette dépendance n’indique pas un pronostic plus défavorable ou un besoin accru de soins lors d’un traitement en soins intensifs.»

«Aucune discrimination acceptable»

Inadmissible pour ces deux organismes, qui ont immédiatement demandé à l’ASSM d’adapter ses critères, «car la question de l’admission en unité de soins intensifs pour les personnes handicapées ne doit pas être basée sur l’échelle de fragilité clinique». Avec un demi-succès, estime Caroline Hess-Klein: «L’ASSM a déjà montré une certaine ouverture,on verra jusqu’où elle va…» Pour l’heure, les critères de tri portent préjudice aux personnes handicapées, répète la spécialiste: «Ils violent l’interdiction de discrimination des personnes handicapées contenue dans la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées et dans la Constitution fédérale.»

Le directeur médical des HUG, Arnaud Perrier, qui a lui aussi participé à l’élaboration des directives nationales, tente de rassurer et affirme: «Aucune discrimination liée à une situation de handicap n’est acceptable. Nous ac-cueillons d’ailleurs actuellement des personnes handicapées aux soins intermédiaires et aux soins intensifs.» Le professeur concède toutefois que certaines parties du document peuvent prêter à confusion, «néanmoins, le handicap n’est pas un critère en soi». Il appelle cependant à ne pas tomber dans une vision idéalisée de la non-discrimination en évaluant différemment les personnes en situation de handicap: «Comme pour tout patient, le bénéfice attendu d’un séjour aux soins intensifs reste un critère déterminant.Il serait totalement inadéquat d’envoyer souffrir aux soins intensifs toute personne, handicapée ou pas, n’ayant pas de chance de se tirer d’affaire!»