Objets connectés des questions éthiques

(générations)

La nouveauté suscite toujours des questions. Pour des questions de principe, certains s’inquiètent de cette intrusion dans la vie des gens. D’autres soulignent en revanche que les avantages l’emportent largement sur les désagréments. Parole aux experts.

L’intrusion des objets connectés dans notre existence soulève bien des questions éthiques. Ne risque-t-on pas d’être fliqué?
Est-ce bon que la vie des personnes soit mise sous tutelle numérique et contrôlée à distance par des algorithmes opaques? Quelles sont les pratiques acceptables?


L’individu ne doit pas être dépossédé de son libre arbitre»SOLANGE GHERNAOUTI, EXPERTE

 

Solange Ghernaouti, directrice du Swiss Cybersecurity Advisory & Research Group de l’Université de Lausanne et présidente de la Fondation SGH – Institut de Recherche Cybermonde, regrette qu’il n’y ait pas eu de vrai débat de société. «Pour l’heure l’objet connecté contribue à considérer la personne comme un système à observer, à contrôler et dont il faut optimiser le comportement. L’impossibilité de se soustraire au contrôle continu des pantoufles ou autres dispositifs emprisonne les individus. Outre la surveillance généralisée et en direct, ces objets autorisent des intrusions dans la vie privée, dans la chambre à coucher,voire, parfois, dans le corps des personnes. Ils collectent et transmettent à des tiers des données comme le ferait un espion. C’est problématique, d’autant que la majorité de ces objets sont piratables. »

Une véritable valeur ajoutée


«Les seniors apprécient au quotidien le regain de sécurité»LUIGI CORRADO, PRO INFIRMIS

 

Luigi Corroda, président du groupe de travail sur les gérontechnologies de gérontologie.ch et chef de projets à Pro-Infirmis ne partage pas cette vision. Certes, il est lui aussi préoccupé parles risques de piratage, mais affirme,sans détour, qu’une pesée d’intérêts parle en faveur des objets connectés:«Mon expérience de vingt-huit ans dans le domaine de la santé et de la littérature montre que, de manière générale,les seniors apprécient au quotidien le regain de sécurité et d’indépendance que cela leur procure. Quand ces objets répondent à un besoin, il y a,sans conteste, une véritable valeur ajoutée.»

Capables de dire stop

Solange Ghernaouti est consciente que ces outils peuvent«offrir plus de confort, de facilité et rassurer», mais insiste sur le fait que «l’individu ne doit pas être dépossédé de son libre arbitre et de son autonomie,même si celle-ci est restreinte,sans quoi on risque de se re-trouver face à un écueil qui conduirait à la perte de dignité humaine, de liberté et peut-être, du sens de la vie car la connectivité permanente des personnes modifie leur manière d’être au monde.»

A l’aune de sa pratique, Luigi Corrado est convaincu, en revanche, que les seniors sont capables de dire «stop» si cela ne leur convient pas. «Je ne crains donc pas que la technologie prenne le pas sur l’humain et distende les liens sociaux, affirme-t-il. Au contraire, dans le sens où, aujourd’hui, les familles son moins regroupées qu’avant, les technologies raccourcissent les distances.Les objets connectés joueront un rôle important dans l’avenir des seniors,précisément dans le renforcement du lien social et de la communication, et donc des attaches intergénérationnelles, mais aussi dans la prévention à la santé, la sécurité.» Le spécialiste cite quelques exemples, comme la cuillère Gyenno, qui limite les tremblements et permet à certaines personnes atteintes de la maladie de Parkinson de manger seules; Gait up, des capteurs de mouvements capables de détecter des éléments avant-coureurs, notamment pour prévenir les chutes ou encore Dot watch,la première montre connectée en braille.

Solange Ghernaouti abonde: «Dans une chaîne de soins, et pour accompagner des personnes, la technologie est positive. Utilisées en connaissance de cause,les interfaces simplifiées adaptées et personnalisées qui permettent aux personnes de rester en lien avec le reste du monde alors que les contacts physiques et directs ne sont plus possibles, sont bénéfiques, tout comme les dispositifs qui pallient des invalidités,des pertes de moyens ou minimisent la douleur.»En résumé? Nous avançons dans le monde numérique comme des funambules sur un fil, contraints de réajuster constamment nos mouvements pour trouver le bon équilibre entre les besoins et le superflu.