«Ce foyer a toujours connu des problèmes»

(Le Temps)

Directrice de l’association Autisme Genève, Elvira David Coppex réagit à l’enquête du «Temps» sur de graves dysfonctionnements dans un établissement genevois géré par l’Office médico-pédagogique. Elle évoque l’immense travail, souvent invisible, des familles.

Propos recueillis par Sylvia Revello

«Aujourd’hui, à Genève, on dénonce dans la presse une situation au sein d’un foyer où des enfants autistes ou porteurs d’autres handicaps subissent des maltraitances institutionnelles.Des enfants qui ont souffert,dans un silence assourdissant.»Suite à l’enquête du Temps parue vendredi dernier, faisant état de graves dysfonctionnements dans une structure gérée par l’Office médico-pédagogique (OMP), l’association Autisme Genève a pris position publiquement. Pour la directrice Elvira David Coppex, les familles sont les grandes oubliées du débat alors même qu’elles jouent un rôle clé. Au-delà du cas particulier du foyer, la prise en charge des jeunes autistes est, à ses yeux,loin d’être exemplaire; entre parents livrés à eux-mêmes,professionnels débordés ou mal formés et manque d’écoute de l’État.

Dans votre communiqué, vous vous dites atterrés, consternés. Qu’est-ce qui vous révolte?

Depuis des années, on nous dit que tout est sous contrôle, que les dysfonctionnements sont liés à un manque de moyens, que les problèmes vont se régler, mais au final, les choses en sont toujours au même point. Les réponses de l’OMP, qui peine à se remettre en question, sont toujours très floues. En fin de compte, c’est toujours la faute de personne et pendant ce temps, les enfants atteints de troubles sont les premiers à pâtir de la situation.

Vous suivez la situation du foyer en question depuis des années, comment en est-on arrivé là?

Notre association a alerté l’OMP à plusieurs reprises, des interventions ont été promises mais au final les dysfonctionnements perdurent. Le sentiment général c’est que ce foyer précis a toujours connu des problèmes. Curieusement,un autre établissement accueillant des situations similaires semble, lui, donner satisfaction. Le problème c’est qu’en cas de crise, la marge de manœuvre de l’État est très faible en général. Que cela soit pour motiver les équipes ou pour les prier de corriger le tir,la hiérarchie est paralysée parses règlements et ses rigidités.

Notre sentiment,c’est que l’OMP a toujours un train de retard. A l’origine, il y a très certainement un manque de moyens dédiés, mais aussi de vision stratégique à long terme. Les lacunes en matière de formation spécialisée en autisme compliquent encore la situation.Il est pourtant prouvé qu’un accompagnement adapté, par des collaborateurs bien formés avec des objectifs pertinents,permet à un grand nombre d’élèves différents d’intégrer l’école ordinaire. Au lieu de ça,l’État réagit dans l’urgence. Face à la hausse des demandes,des écoles spécialisées poussent comme des champignons et beaucoup d’enfants y sont orientés. Il y a bien sûr des professionnels qui s’investissent sans compter, mais les familles qui nous consultent sont celles qui rencontrent des difficultés. Et à travers les années, nous ne pouvons que déplorer que leur nombre ait grandi.

Être parent d’un enfant autiste, qu’est-ce que ça implique?

Les situations sont toutes uniques,mais ce qui caractérise notre rôle, c’est l’intensité. Nous avons plus de rendez-vous avec des spécialistes, plus de charge mentale,plus de cris, plus d’inquiétude,plus d’incompréhension, plus de planification, plus de formulaires à remplir, plus de remise en question… Mais aussi, il faut le dire, plus d’émerveillement devant les petites et grandes victoires de nos enfants.

«Que faire d’un diagnostic d’autisme quand ensuite on peine à trouver des spécialistes?» Elvira David Coppex, directrice de l’association Autisme Genève

 

A quelles difficultés êtes-vous confrontés au quotidien?`

Avoir un enfant différent, ça reste le parcours du combattant. En tant que parents, on souffre de la rigidité du système, du manque d’écoute. La seule chose qui se soit vraiment améliorée ces dernières années c’est la possibilité d’obtenir un diagnostic un peu plus rapidement, pour les tout-petits. Mais que faire d’un diagnostic quand ensuite on peine à trouver des psychologues,des spécialistes en logopédie,ergothérapie ou encore psychomotricité, qu’on s’inquiète pour l’école, les loisirs, les thérapies,mais aussi pour leur avenir entant qu’adulte. Une charge immense repose sur les épaules des parents qui se sentent souvent démunis. Ceux qui ont les moyens peuvent mettre leurs enfants dans le privé, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Sans parler du manque de places.

Vous évoquez un jugement permanent sur les enfants autistes, comment cela se manifeste?

Imaginez: tout à coup, vous êtes parachuté, du jour au lendemain dans une petite ville en plein milieu de la Chine. La langue est différente,la culture, les habitudes sont différentes, vous ne comprenez rien à rien, vous n’avez aucune idée de ce qu’il faut faire pour bien faire. Vous avez beau vous démener pour vous intégrer, comme vous n’avez pas les clefs de compréhension, tous ces Chinois vous regardent avec méfiance et circonspection. Vous vous angoissez car vous ne comprenez finalement pas ce qui est attendu. C’est un peu ça, être autiste, à Genève.

Dans votre communiqué, vous affirmez que Genève a la capacité d’être exemplaire en matière de compréhension, d’accueil et d’accompagnement des personnes autistes. Par où commencer?

Nous n’avons pas envie de créer une énième commission consultative cantonale sur le handicap qui réunira des fonctionnaires épuisés qui produiront un règlement que le terrain s’empressera de ne pas respecter. Ou encore une nouvelle loi sur le handicap qui mobilisera les collaborateurs de tout l’État pendant cinq ans et sera piétinée aussitôt sortie. La sensibilisation du grand public pourrait en revanche être à l’origine de grands changements. A travers l’inclusion scolaire notamment, nous pourrions habituer les enfants à côtoyer des personnes aux comportements différents et à respecter cela. Il faudrait aussi que les institutions soutiennent nos projets innovants, accueillent nos propositions de formation, d’aide et de soutien.