Enfants sur liste d’attente

(La liberté)

Magalie Goumaz

Petite enfance Intégration. Le mot est dans toutes les bouches. Sauf qu’il ne correspond pas forcément à la réalité. C’est le cas dans le domaine de la petite enfance, lorsqu’il s’agit de trouver une structure d’accueil pour des enfants nécessitant une prise en charge particulière. A Fribourg, les places et les moyens manquent. Maman d’un petit Hector* de trois ans et demi, Nadia* en fait l’expérience. «Il y a une année environ, Hector a subitement arrêté de parler. De son côté, la crèche avait aussi remarqué que l’interaction avec les autres enfants devenait difficile. Le diagnostic a alors été posé, Hector souffre d’un trouble du spectre autistique». raconte-t-elle.

Pour la maman, c’est le choc. Et elle doit tout gérer en même temps: le suivi médical de son fils, les démarches pour améliorer son encadrement à la crèche, les exercices à domicile… Tout ça en marge de son emploi et de toutes les tâches du quotidien. «Je me démène à 200% pour chaque petite chose», explique-t-elle. Le personnel de la crèche fait tout ce qu’il peut, reconnaît Nadia. «Mais il ne peut pas s’occuper personnellement d’un enfant alors qu’Hector a besoin d’un adulte à ses côtés pour le canaliser, comprendre et répondre à ses besoins», poursuit-elle.

Aide du canton

Une solution a été trouvée avec le Service éducatif itinérant (SEI). La collaboratrice qui apporte son soutien à Nadia à son domicile est aussi intervenue à la crèche pour donner des conseils. «Mais c’est temporaire. et la question se pose déjà de savoir si Hector pourra commencer l’école enfantine l’automne prochain. Je me fais du souci. Que se passera-t-il s’il faut repousser son inscription d’une année? Sa crèche m’a déjà fait savoir qu’elle ne pourrait peut-être pas le garder ou alors avec un horaire restreint, faute de moyens.»

Kristel Waridel a dû faire preuve de patience. Agé de 4 ans, son garçon, Liam, souffre d’une maladie génétique rare: l’ataxietélangiectasie ou syndrome de Louis-Bar, une maladie neurodégénérative qui entraîne notamment une perte de contrôle des mouvements. Elle a créé une association, Live Association, pour la faire connaître et financer la recherche pour un traitement. Elle tient aussi un blog dans lequel elle raconte son quotidien. Très engagée, Kristel Waridel raconte que Liam a été diagnostiqué en 2019. «En 2020, au moment de chercher une place dans une crèche, nous avons pu en parler ouvertement et ça s’est très bien passé. La structure que nous avons trouvée a fait tout son possible pour l’accueillir dans de bonnes conditions», raconte-t-elle.


«Nous bricolons des solutions» Surya Fidanza

 

Et de poursuivre: «La crèche a aussi adressé une demande d’aide au canton pour engager du personnel supplémentaire. C’est là que ça c’est compliqué, car il a fallu attendre huit mois pour l’obtenir. Imaginez: huit mois d’attente pour qu’une personne soit présente durant un temps limité de deux heures pour une seule journée de crèche!»

Cette assistante de vie sociale dépend de Pro Infirmis. «Deux heures, c’est déjà bien, mais l’idéal serait évidemment qu’elle soit présente la journée complète. Liam l’apprécie beaucoup. Il a confiance en elle et ose lui demander de l’aide, pour aller aux toilettes par exemple. Il est plus gêné avec les autres collaborateurs de la crèche.» Et de souligner également à quel point la crèche fait du bien à son enfant. «C’est très important pour lui, et il est motivé. Ça le stimule, car il essaie toujours de faire comme les autres. Et ça lui permet d’apprendre à connaître les enfants du village qu’il retrouvera à l’école enfantine.»

La pointe de l’iceberg

Le SEI, qui dépend de la Fondation les Buissonnets, a la vue d’ensemble des situations d’enfants en âge préscolaire présentant un développement inhabituel ou un handicap. Marianne Schmuckli, sa directrice, a lu avec attention un récent rapport du Conseil d’Etat sur l’accueil intégratif de la petite enfance, qui annonce que quinze enfants n’ont pas eu accès à une crèche par manque de place ou de moyens de soutien adéquat pour 121 enfants pris en charge. «Mais c’est la pointe de l’iceberg», assure Surya Fidanza, responsable pédagogique du SEI. Elle fait remarquer que le rapport ne mentionne que les enfants qui ont été diagnostiqués et se sont vu allouer une mesure d’aide renforcée (MAR). «Or, il faut du temps pour poser certains diagnostics, notamment pour les troubles du spectre autistique. Et pendant ce temps, on bricole des solutions», poursuit-elle. Tant le SEI que Pro Infirmis financent en effet par leurs propres fonds certaines mesures visant à appuyer les structures d’accueil.

Le SEI admet qu’il atteint ses limites et a besoin que ce travail soit plus clairement reconnu dans son mandat. En janvier, il suivait 342 enfants en âge préscolaire. «Nous intervenons au domicile de l’enfant et apportons notre soutien dans les lieux d’accueil. Mais nous ne parvenons pas à répondre à tous les besoins. Actuellement, nous avons près de 50 familles en attente.» Et d’évoquer également les cas où des enfants ont été exclus d’une structure ou se voient réduire le temps d’accueil, faute d’encadrement adéquat. «Cette problématique concerne 26 enfants. Et malgré le travail des différents professionnels, une cinquantaine d’enfants auraient actuellement besoin d’un accompagnement supplémentaire. Ce sont des situations urgentes, qui plongent les parents dans le désarroi», raconte Surya Fidanza.

Unique crèche intégrative

La responsable pédagogique mentionne d’autres lacunes du dispositif cantonal. Ces fameux MAR ne couvrent que le quart du nombre d’heures d’accueil, à raison de 20,50 francs de l’heure. Ce qui signifie qu’une crèche qui accueille un enfant un jour par semaine reçoit 41 francs pour engager un collaborateur supplémentaire pendant deux heures. Autre écueil: les écoles maternelles ou groupes de jeux ne bénéficient pas de cette mesure. «Or, ces structures peuvent être mieux adaptées aux besoins des enfants. Les groupes y sont parfois plus petits, les horaires réduits», explique-t-elle.

La crèche La Coccinelle est la seule institution dite «intégrative» dans le canton. L’an dernier, elle accueillait vingt-quatre enfants, dont huit avec des besoins particuliers. «Nous collaborons très bien, assure Surya Fidanza. Mais chaque enfant devrait aussi pouvoir intégrer la structure de son village ou de son quartier. C’est ça la véritable inclusion», estime-t-elle.

En conclusion de son rapport, le Conseil d’État annonce qu’il est prêt à soutenir une crèche qui serait prête à organiser un système de prise en charge similaire à celui proposé par La Coccinelle. Un courrier de sensibilisation a aussi été transmis à toutes les structures en août dernier. Enfin, il indique que la procédure a été simplifiée. Il assure que ces mesures ont déjà produit des effets positifs. »* Prénom d’emprunt


Il arrive que des enfants avec des besoins particuliers soient exclus d’une structure, ou alors que leur temps d’accueil soit réduit, faute de moyens pour les encadrer. Keystone/photo prétexte

 


Le Grand Conseil s’en mêle

Le rapport sur l’accueil intégratif de la petite enfance, que le Conseil d’Etat a adressé en décembre dernier au Grand Conseil en réponse à un postulat de l’ancienne députée Giovanna Garghentini Python, ne satisfait pas les élus. «Je ne partage pas la conclusion selon laquelle les mesures prises sont importantes. C’est du saupoudrage», a lancé David Fattebert (le centre, Le Châtelard) lors de la dernière session. Dans la foulée, il a déposé avec Elias Moussa (ps, Fribourg) une motion demandant que les lacunes soient comblées. Le conseiller d’État Philippe Demierre promet de «mettre les choses à plat».

Le Conseil d’État a cinq mois pour prendre position sur la motion, avant que cette dernière ne fasse l’objet d’un débat au Grand Conseil,

suivi d’un vote. Si les députés acceptent la motion, le Conseil d’État doit la mettre en vigueur. La procédure peut donc être longue, sauf si le gouvernement décide de présenter immédiatement un projet. MAG


Les structure notent une hausse des cas

Crèches et écoles maternelles réclament davantage de soutiens pour accueillir les enfants en situation de handicap.

Sur le plateau de Pérolles, la villa de l’Arsenal abrite depuis janvier 2016 la crèche Pérollino. Elle accueille chaque semaine une centaine d’enfants, dont une dizaine avec des besoins particuliers. Marisa Rolle, sa directrice, déplore le peu de moyens alloués pour leur prise en charge. «Nous nous adaptons à chaque situation, mais je rêve de pouvoir engager un pédagogue curatif. A défaut, nous prenons sur nous car nous croyons aux bienfaits de l’intégration. Ce qui nous manque, c’est par exemple un organe indépendant de notre structure, qui interviendrait lorsque nous détectons qu’un enfant a des difficultés et se chargerait ensuite de déterminer, de mettre en place et de coordonner les moyens dont nous avons besoin. Ça soulagerait aussi les parents», explique-t-elle.

Marisa Rolle constate aussi qu’il y a une nette augmentation des cas. «A nos débuts, nous avions à gérer une seule situation difficile à la fois. Aujourd’hui, il y a dans chaque groupe de treize enfants un ou plusieurs enfants qui demandent un suivi particulier», constate-t-elle.

Les écoles maternelles sont encore moins bien loties, car elles n’ont pas le même statut et ne sont pas considérées comme des structures de garde d’enfants. A Châtel-Saint-Denis, les Gazouillis s’efforcent néanmoins de trouver des solutions. «Nous avons toujours eu à cœur d’accueillir tous les enfants, explique sa responsable, Ursula Colliard. Et nous sommes également très attentifs à leur développement. En cas de besoin, nous avons par chance une bonne collaboration avec les pédiatres et les logopédistes de la région. Mais il y a des cas très compliqués, notamment avec des enfants présentant des troubles autistiques, qui nécessitent une aide extérieure.»

Dans l’idéal, pour certains enfants, il faudrait qu’un adulte soit toujours présent à leurs côtés, estime Ursula Colliard. «On en est loin. On se débrouille, on fait du mieux qu’on peut, mais j’ai récemment dû réduire le temps d’accueil d’un enfant car nous n’avions pas le personnel disponible pour lui et sa présence dans un groupe devenait dangereuse, pour lui et pour les autres. Je ne pouvais pas prendre ce risque. C’est terrible pour nous mais aussi pour les parents, qui le vivent comme un échec», raconte-t-elle. La directrice des Gazouillis estime que ce n’est pas aux parents de pallier les manques en finançant le dispositif. «Un enfant qui est différent a sa place dans la société, c’est même à elle de s’organiser pour l’intégrer», dit-elle.

Les responsables de structures d’accueil de la petite enfance notent cependant que les difficultés ne découlent pas seulement d’un manque de moyens. Il arrive que des parents peinent à reconnaître les difficultés de leur enfant ou misent sur des changements positifs avec le temps. Une réaction qui peut aussi retarder une prise en charge adéquate.» MAG