«Bientôt des paraplégiques pourront remarcher sans aide extérieure»

(Le Temps)

NEUROSCIENCES Des équipes du CHUV et de l’EPFL sont parvenues à faire remarcher des patients atteints de lésions complètes de la moelle épinière grâce à des stimulations électriques, y compris en dehors du laboratoire

Par Sylvie Logean

C’est une nouvelle victoire d’étape pour les équipes de Grégoire Courtine, neuroscientifique à l’EPFL, et Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au CHUV. Grâce au développement d’implants optimisés pour stimuler la région de la moelle épinière qui contrôle les muscles du tronc et des jambes, trois patients ayant souffert d’une lésion complète de la moelle épinière ont été capables de marcher en dehors du laboratoire. Ces résultats ont fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Medicine, ce lundi. Les explications de Jocelyne Bloch:

On se souvient encore de ces images, en 2018, d’un paraplégique quittant sa chaise roulante pour se mettre à marcher à l’aide d’un déambulateur. Votre concept de réactivation de la moelle épinière à l’aide de stimulations électriques faisait alors ses premières preuves. Qu’est-ce qui a changé, trois ans plus tard?

L’un des grands changements concerne les patients inclus dans notre étude. Ces derniers ne sont en effet plus atteints de lésions partielles de la moelle épinière, mais complètes, ce qui signifie qu’ils ne peuvent absolument pas bouger leurs membres inférieurs. La technologie a également évolué. Il y a trois ans, nous utilisions un dispositif essentiellement conçu pour traiter les douleurs chroniques, désormais nous nous dirigeons vers des dispositifs dédiés aux personnes paraplégiques. Ces nouveaux implants ont rapidement fait leurs preuves: quelques jours après leur insertion, les patients pouvaient déjà commencer à se lever et remarcher.

Qu’apportent concrètement ces implants conçus par l’entreprise ONWARD Medical, dont vous êtes la cofondatrice avec Grégoire Courtine?

Pour marcher, on active différents groupes musculaires bien spécifiques, que l’on peut facilement trouver avec ces nouvelles électrodes, en les dis- posant de telle sorte qu’ils correspondent précisément aux racines nerveuses de la moelle épinière et afin qu’ils nous permettent d’accéder aux neurones contrôlant les muscles. Cette spécificité fait que l’on arrive mieux à mimer la véritable activité de la moelle épinière lorsque l’on marche. Par ailleurs, il nous est également possible d’activer les muscles du tronc – qui sont parfois atteints chez les personnes paraplégiques -, ce qui est important pour la réalisation de mouvements de tous les jours.

Dans votre technologie, vous faites également appel à l’intelligence artificielle, en quoi est-ce utile pour les patients?

Nous utilisions déjà l’intelligence artificielle en 2018, mais les nouveaux logiciels que nous avons développés permettent de générer des stimulations bien spécifiques pour des activités différentes. Ainsi le programme ne sera pas le même si le patient est debout ou s’il souhaite marcher, nager ou faire du vélo. Le thérapeute peut choisir le programme voulu en fonction de l’activité. Cela signifie que pour l’heure nous avons toujours besoin d’un dispositif externe mais il est fort probable que, bientôt, les patients puissent eux-mêmes décider, avec leur cerveau, de l’activité qu’ils souhaitent entreprendre et cela sans aucune intervention extérieure. Nous n’en sommes pas encore tout à fait là, mais nous sommes déjà parvenus à faire une preuve de concept.

Tous les patients paraplégiques pourront-ils en profiter?

Oui. L’important, c’est que les derniers centimètres de la moelle épinière soient intacts, car c’est là que l’on place les électrodes. Tous les patients pourront bénéficier de cette technologie dès qu’elle sera produite sur un plan commercial, or actuellement nous en sommes encore au stade de la recherche.

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