Un restaurant tout en signes

(Le Courrier Genève)

Vroom, le premier établissement géré par des personnes sourdes a ouvert ses portes à Genève. L’occasion de s’initier à la langue des signes autour d’une assiette.

Maude Jacquet

Inclusion Voici le premier restaurant genevois où le silence est roi! Fraîchement ouvert, le Vroom a été pensé par et pour des personnes sourdes ou malentendantes. Tout ici est adapté pour que de la cuisine à la dégustation, en passant par le service, on puisse se passer de la parole. Mais le projet ne cultive pas l’entre-soi: il se veut au contraire une passerelle entre le monde des sourdes et des entendantes. Une manière de découvrir la langue des signes au détour d’un repas, mais aussi de valoriser les personnes sourdes dans le monde du travail.

Design 100% adapté

L’idée, mûrie depuis plus de deux ans, a germé dans la tête de Mehari Afewerki, président de la Société des sourds de Genève. Inspiré par des initiatives similaires en France, au Canada et aux Etats-Unis, il décide de sauter le pas, en s’appuyant sur un financement participatif et des soutiens publics et privés. L’établissement, qui peut accueillir dès maintenant 50 personnes, est ouvert du lundi au samedi.

En poussant la porte du 13 rue des Rois, on constate en premier lieu l’agréable luminosité et le mobilier design. Tables et bar arrondis, miroirs qui agrandissent l’espace et grandes baies vitrées, rien n’est laissé au hasard. Mais ce n’est pas (seulement) pour le plaisir des yeux: tout ici a été pensé en termes de fonctionnalité. «Le mobilier rond permet aux convives de pouvoir signer en étant vus de toute la table, ce que favorise aussi une bonne luminosité», détaille Elodie Ernst, la responsable communication du projet. Dans la même optique, le miroir au fond du bar permet aux serveurs et serveuses, majoritairement sourdes ou malentendantes, de saisir les mouvements dans la salle même quand ils doivent lui tourner le dos. La cuisine a également droit à ses aménagements aussi tendances que pratiques: l’espace est ou- vert sur la salle et on y dresse les assiettes face aux convives. Côté client.es, on apprécie le calme qui émane de cette cuisine, bien loin de l’ambiance survoltée et bruyante qui y règne souvent.

«Les personnes sourdes sont trois fois plus touchées par le chômage que les personnes entendantes»
Elodie Ernst

Vient bientôt le moment de commander. Ici la langue des signes est reine, mais pas question d’exclure les non -initiées: une partie du personnel lit sur les lèvres, une serveuse entendante peut également faire le lien. Mais à terme, le but est de se lancer dans le grand bain: «D’ici peu, nous aurons des tablettes qui expliqueront en vidéo le menu en langue des signes. Même les entendantes pourront alors passer leur com- mande en signant», se réjouit Elodie Ernst.

Les premiers.ères client.es, enthousiastes, n’ont pas attendu le développement de la technologie. En demandant de l’aide à la table voisine, ils et elles s’en- traînent pour commander un émincé de poulet accompagné de riz – le plat de ce jour – et une salade. Mais aussi apprendre les salutations élémentaires. Entre un lever de soleil pour dire bonjour et la barbe du bouc pour le chèvre chaud, fou rire garanti et partagé par la tablée attenante. Si vous êtes prêtes, il ne reste plus qu’à appeler le service? Il suffit pour cela d’appuyer sur la commande installée à table qui transmet votre appel via une montre connectée.

Déstigmatiser la surdité

Au-delà de l’aspect ludique de l’expérience, ce restaurant a une double vocation: «Nous voulons proposer un lieu où les personnes sourdes se sentent à l’aise. Mais aussi montrer qu’elles peuvent travailler comme les autres, alors qu’elles sont aujourd’hui trois fois plus touchées par le chômage que les personnes entendantes», regrette la porte-parole du projet. Une exception à cette règle: Caroline, serveuse entendante, qui travaillait auparavant dans ces mêmes locaux pour un autre établissement. «Quand on m’a proposé de me joindre au projet, j’ai tout de suite dit oui. Cela impliquait de me former à la langue des signes. J’ai pris des cours, mais c’est surtout auprès de l’équipe, en contexte, que j’ai le plus appris. Je trouve extraordinaire de mener ce projet dans la restauration.»

Reste à convaincre les gourmand.es de franchir la porte. Et c’est bien parti. Dans le quartier, le mot a déjà tourné, et ce midi les travailleurs et travailleuse du quartier prennent possession des lieux. Il y a cette maman, venue avec son fils, qui trouve l’expérience «pédagogique, même si on vient d’abord pour la cuisine». Et cette jolie confluence des rencontres qui ont amené Alain l’orthophoniste et sa collègue logopédiste Corinne à cette table. Lui a travaillé longtemps avec des personnes sourdes, elle a rencontré Elodie Ernst via une application de livraison de repas entre particulier.ères. Avec des bureaux à deux pas, l’occasion était trop belle pour ne pas la saisir. Et c’est déjà promis: il et elle reviendront!


Deux des initiateurs.trices du projet, Mehari Afewerki et Elodie Ernst, quelques jours après l’ouverture du restaurant. JEAN-PATRICK DI SILVESTRO