Les langues des signes, un droit pour les malentendants

(Le Temps)

Par David Haeberli

PARLEMENT Le Conseil national a voté un texte qui veut ancrer l’égalité des chances aux sourds et aux malentendants dans la loi. Le Conseil fédéral est moins enthousiaste.

Un premier pas a été franchi à Berne pour la reconnaissance légale des langues des signes en Suisse.Paradoxe:les personnes sourdes n’ont pas pu suivre les débats menés au Conseil national, alors qu’elles étaient très directement concernées.Si les sessions parlementaires sont diffusées à la télévision et sur internet, ces retransmissions n’incluent pas de traduction en langues des signes.

«Du coup,c’est nous qui faisons le travail, dit Sandrine Burger,porte-parole de la Fédération suisse des sourds,alors que nos membres devraient avoir un même accès à l’information que tous les autres citoyens.»

Sur le site de l’institution,une vidéo résume donc l’enjeu de la décision prise par le Conseil national.

«Aux services des urgences dans les hôpitaux, la disponibilité d’un interprète est très rare alors qu’il peut s’agir de questions de vie ou de mort»
Sandrine Burger,porte-parole de la Fédération suisse des sourds

Voilà un exemple très concret de l’importance du vote de ce ler juin pour les personnes sourdes.Selon le texte voté,«le Conseil fédéral est chargé de présenter une loi fédérale sur la reconnaissance des langues des signes et l’égalité des personnes sourdes et malentendantes,afin que les trois langues des signes suisses soient reconnues légalement.Cette loi a pour but la reconnaissance et la promotion des langues des signes ainsi que l’égalité des personnes sourdes et malentendantes».

Le but est donc d’offrir l’égalité des chances aux sourds et aux malentendants, notamment dans les domaines de l’accès à l’information, de la communication,de la participation politique,des services,de la formation,du travail, de la culture et de la santé.«Le quotidien des sourds est semé de barrières,résume Sandrine Burger.Il s’agit de le simplifier,en concrétisant des règles qui relèvent de droits pourtant acquis.»

Une inscription dans la loi installerait par exemple la présence d’un dispositif de traduction des débats politiques.Mercredi matin, une interprète était tout de même dans la salle du Conseil national afin de traduire les échanges pour la galerie du public.

Une fois le vote positif acquis(134 oui,32 non,13 abstentions),des élues et des élus ont secoué leurs mains en l’air afin de se réjouir de ce succès.Les sourdes et lessourds présents dans la tribune ont compris que ces «applaudissements»silencieux leur étaient destinés.

Panique durant la pandémie

Durant le covid,les informations adressées à la population ont pris la forme de conférences de presse retransmises via internet. «Or,les premières éditions se sont faites en l’absence d’interprète,rappelle Sandrine Burger.Nos membres sentaient bien que quelque chose d’important avait lieu,mais en l’absence de traduction,c’était la panique.»Cette lacune a été comblée dans un second temps, après intervention de la Fédération suisse des sourds.

Le service juridique de la Fédération suisse des sourds fait un bilan annuel des discriminations que subissent ses membres depuis cinq ans.En moyenne, 115 cas annuels sont enregistrés.Aucune évolution à la baisse n’a été constatée.

Cette liste comprend notamment des problèmes dans des administrations publiques, qui rechignent à donner aux sourds ce à quoi chaque citoyen a droit, à savoir un accès plein aux services publics.«Il s’agit de concrétiser un droit qui est acquis»,résume Sandrine Burger.

Qui va payer?

Autres entorses documentées:dans les entreprises,la formation continue est désormais un outil auquel chaque employé peut prétendre. Or,les personnes sourdes,pour y avoir accès, ont besoin d’un interprète.Qui doit payer cette prestation? Les employeurs,regrette la Fédération suisse dessourds,rechignent souvent à le faire.Idem lors d’un rendez-vous chez le médecin.

Plus grave:«Aux services d’urgences dans les hôpitaux,la disponibilité d’un interprète est très rare alors qu’il peut s’agir de questions de vie ou de mort»,relève Sandrine Burger. Le texte voté par le Conseil national doit désormais passer devant les Etats.Ce sera ensuite au tour du Conseil fédéral.Cette étape inquiète particulièrement la Fédération suisse des sourds.Les mesures afin d’assurer une égalité dans l’accès à l’information ont un coût, que la Confédération rechigne à payer.

Plutôt que de créer une loi adhoc,le gouvernement préférerait compléter la loi sur l’égalité pour les personnes handicapées.

«Cette procédure n’aura aucun impact au niveau des finances ou du personnel alors qu’aller plus loin exigerait des ressources considérables,qui ne sont pas disponibles et qui devraient être mises à disposition»,argumente le Conseil fédéral.