Quand le handicap mental entre au club

(Le Temps)

INCLUSION Les National Games réunissent ce week-end à Saint-Gall 1400 athlètes avec handicap mental,dont une part croissante évoluant dans des clubs traditionnels.Leur intégration demande des efforts mais profite à tout le monde,soulignent ceux qui y travaillent.

par Lionel Pittet

Badara Top coache toutes ses équipes avec la même exigence d’ancien basketteur de haut niveau.Quand il faut crier,il crie. Quand il faut punir,il punit. Parfaits débutants ou champions en devenir,personne n’échappe aux allers-retours de terrain en sprint.Pas même les personnes en situation de handicap mental qui participent aux entraînements de basket adapté du dimanche matin.

«On me demande parfois pourquoi je suis dur avec eux, s’amuse l’entraîneur.C’est pourtant simple:je les traite comme des basketteurs.Pas comme de pauvres petits handicapés.C’est exactement ce qu’ils viennent chercher chez nous.»

Cela fait une dizaine d’années que le club de Vevey Riviera s’est officiellement ouvert à ces joueurs pas tout à fait comme les autres.Les débuts furent timides avec,pendant six mois,trois participants seulement.Depuis,le bouche-à-oreille a fait son effet: les six coachs s’occupent désormais d’une petite vingtaine de réguliers.Suffisant pour inscrire, ce week-end à Saint-Gall,deux équipes aux National Games de Special Olympics Switzerland.

107 clubs labellisés

L’instance est l’équivalent, pour lesathlètes avec handicap mental,de Swiss Olympic(sans handicap)et SwissParalympic(avec handicap physique). Ses«Jeux nationaux»ont lieu tous les deux ans,alternativement en été et en hiver,et leur treizième édition réunit,autour de quatorze disciplines,1400 sportives et sportifs. Beaucoup des participants sont encadrés par des institutions (35%)ou des structures sportives spécialisées comme PluSport(24%).Mais ils sont aussi de plus en plus nombreux à représenter des clubs ordinaires(13%).

Cette tendance réjouit Gabriel Currat,responsable pour Special Olympics Switzerland de développer le sport inclusif.Depuis près de dix ans,il aide les associations sportives et autres événements populaires à mettre en place le nécessaire pour accueillir des personnes en situation de handicap mental.«L’objectif,dit-il,c’est qu’un jour,ce travail ne soit plus nécessaire.»Mais il a quelques années de coups de téléphone et de formations devant lui:dans un paysage sportif suisse riche de 19000 clubs(en2016),seuls 107 ont à ce jour obtenu le label Unified qui signale l’existence de structures vérifiées.


«Quand je veux inscrire mes jeunes à des compétitions, cela demande beaucoup de travail en amont»
Nicolas Jâggi,entraineur d’un club d’athlétisme neuchâtelois

 

«Le développement d’un environnement inclusif prend du temps,justifie Gabriel Currat. Parfois,les clubs croient qu’il s’agit juste de laisser les personnes devenir membres ou être présentes lors des événements. C’est bien sûr un début,mais nous aspirons à davantage:chacun doit véritablement pouvoir trouver sa place,participer,profiter des avantages de la vie associative,etc.»

Pour y parvenir,il n’existe pas de formule magique.«C’est la complexité et la beauté du travail,poursuit le responsable. Dans chaque cas de figure,il faut analyser ce que proposent le club et l’encadrement dont il dispose afin de déterminer ce qui est le plus adapté pour devenir inclusif.»L’idéal de Special Olympics, c’est l’entraînement qui réunit sportifs avec et sans handicap. Dans les faits,les clubs contactés proposent majoritairement des séances«à part»,tout en cherchant à construire des ponts entre les univers du sport classique et adapté.

Sur les tatamis de Meyrin,les premiers cours de judo-handicap ont été donnés dès 1994,bien avant que Special Olympics n’incite le club à une certaine porosité entre ses différentes sections. Mais la démarche a ses limites. Certains types de problèmes mentaux impliquent des comportements imprévisibles,difficiles à gérer.«Dans certains cas de trouble du spectre de l’autisme, les jeunes peuvent crier et courir partout, il faut un peu laisser faire, et ce n’est pas simple dans le cadre d’un entraînement classique,raconte le moniteur Patrick Blanchut depuis Saint-Gall,où il accompagne quatre judokas aux NationalGames.Mais il y a aussi des cas beaucoup moins lourds, avec un simple retard intellectuel, qui nécessitent simplement une attention un peu plus soutenue. Ceux-là peuvent être plus facilement intégrés à des groupes normaux.»

C’est parfois un simple effet d’inertie qui retarde la mise en place de projets,comme le remarque NicolasJâggi,entraîneur de la section dédiée aux personnes avec handicap mental au sein du CEP Cortaillod, un club d’athlétisme neuchâtelois.«Quand je veux inscrire mes jeunes à des compétitions,cela demande beaucoup de travail en amont.En général,les organisateurs sont ouverts,mais il faut beaucoup discuter pour trouver la catégorie adéquate,l’âge réel des personnes en situation de handicap ne correspondant souvent pas avec leur niveau de performances…»

Chacun à son niveau

En plein master en activités physiques adaptées à l’Université de Lausanne,il pousse aussi pour la tenue régulière d’entraînements communs avec des athlète «valides». Mais si«tout le monde trouve que c’est une bonne idée», peu ont le temps d’entreprendre les démarches nécessaires. Partout,la problématique particulière se heurte aussi au contexte défavorable de l’érosion du bénévolat.

A Vevey,les personnes en situation de handicap mental jouent au basket entre elles lors des entraînements du dimanche matin. Mais Badara Top a également imaginé une séance hebdomadaire de«développement individuel» à laquelle peuvent participer des joueurs de tous le sâges, avec et sans handicap.Chacun travaille ses fondamentaux dans le même domaine particulier -le dribble,le tir,la passe- mais à son propre niveau.

Une belle manière de résoudre l’équation centrale:«Le plus difficile,estime Gabriel Currat de Special Olympics Switzerland, c’est de trouver la bonne méthode pour faire cohabiter des individus très différents les uns des autres, sans que personne ne s’ennuie, et sans oublier ni les plus talentueux,ni les moins bons.»

Au départ,Badara Top craignait la fameuse «méchanceté des enfants entre eux». Les moqueries.Parce que oui,il peut y avoir des situations qui prêtent à rire,reconnaît-il.Mais l’expérience lui a fait ravaler ses a priori.«Certains passent pour des petits durs mais quand ils se retrouvent à jouer avec des jeunes avec handicap,je les vois plutôt donner des conseils ou faire une passe alors qu’ils ont
l’occasion de shooter…»

Patrick Blanchut,du Judo Club Meyrin,confirme.Des sarcasmes adolescents relatifs à des problèmes d’élocution,par exemple, il en a souvent entendu. Mais très rarement sur les tatamis.«C’est vrai que dès que tout le monde pratique un même sport,on voit beaucoup plus de bienveillance, d’entraide.»

Dans ce contexte,le résultat a-t-il la moindre importance? «Pour certains,il en a une,rigole le moniteur de judo.Après un combat gagné,ils peuvent exulter d’une manière parfois un peu excessive pour notre sport.» Badara Top abonde en ce sens: «Bien sûr que le résultat compte! A chaque niveau,celui qui fait du sport veut se dépasser, progresser,battre l’adversaire qui lui a longtemps résisté.Ce qui est vrai sans handicap l’est aussi avec.»