Handicapée, l’alpiniste Nicole Niquille a pu redécouvrir les sommets tractée par 16 femmes alpinistes

(L’Illustré)

Par Patrick Baumann

La première femme guide de Suisse, Nicole Niquille, a vaincu les plus hauts sommets avant son accident. A 66 ans, elle vient de gravir le Breithorn, tractée par 16 femmes alpinistes.


Ascension de Nicole Niquille au Breithorn. Caroline Fink

 

«Lorsque j’ai rencontré, à Zermatt, la guide Caroline George et qu’elle m’a dit «Ça te dirait de faire le Breithorn (4164m)?», je n’ai pas hésité une seconde. D’ailleurs, dès qu’on me propose un truc fou, je dis oui. Nous venions d’évoquer notre amour de la montagne. Elle était la coordinatrice du Women Peak Challenge, lancé par Suisse Tourisme, et avait aussi organisé la plus grande cordée féminine, réunissant 80 femmes du monde entier à l’assaut de ce même Breithorn. Retrouver l’ambiance d’une cordée, l’air des sommets, j’étais tout excitée. Je n’étais jamais remontée sur un sommet enneigé depuis mon accident autrement qu’en hélicoptère. «Toi, tu t’occupes de l’attelage humain, moi, de l’engin», lui ai-je lancé. J’ai fait des essais tout l’hiver autour de chez moi, notamment avec du ski tandem, mais c’était trop instable.

Jusqu’au jour où j’ai appris que l’entreprise Orthotec, de Nottwil, voulait nous aider gratuitement. Ils ont mis au point une planche de snowboard sur laquelle était fixé un siège de voiture de course. Il fallait que ce ne soit pas plus large que 40 cm, la largeur d’une trace de pas en montagne, et ils ont ajouté des patinettes rétractables sur les deux côtés. Même si on surnomme le Breithorn «le 4000 des dames», il y a des crevasses, les crampons sont nécessaires. Il fallait emprunter l’itinéraire le plus direct et le plus raide pour éviter les tronçons en dévers. Mon attelage nécessitait sur un passage étroit cinq filles en épi et, sur l’arête, elles étaient en ligne de chaque côté de ma luge. On a fait un premier essai sur le glacier le vendredi 1er juillet où je suis même descendue en rappel; c’était la première fois que je descendais en rappel sur une luge, ce fut d’ailleurs la seule petite appréhension, quand les filles ont tourné la luge face à la pente.

L’ascension a finalement eu lieu le samedi. Nous étions à 8h30 au Petit Cervin. Si j’ai ressenti de l’excitation avant, j’ai joui de chaque instant de cette montée avec ces femmes alpinistes magnifiques, dont cinq étaient guides. Il y avait aussi mes deux nièces, les filles de ma sœur jumelle; la solidarité, la connivence avec toutes ces filles a été fantastique, je n’avais jamais vécu une ascension avec une telle énergie positive. J’exposais mon visage au vent, je retrouvais des gestes, tous les mots techniques qui disent la montagne, le passage des crevasses… C’était comme si je me retrouvais chez moi, comme si mes cellules avaient gardé tout ça en mémoire. J’ai même bouffé de la neige, c’est vous dire…

Arrivée au sommet, ce fut une explosion de joie. J’ai pleuré, d’ailleurs je crois que tout le monde a versé une larme. J’ai pensé à tous les alpinistes avec qui j’avais partagé des ascensions et que j’aurais aimé avoir avec moi à ce moment-là. Il y avait une autre cordée qui s’est mise à nous applaudir. Des Italiens ont même chanté. Ce qui m’a horrifiée, par contre, c’est de voir le retrait de la neige sur la face nord du Breithorn et de tous les sommets autour de Zermatt. Et la neige a changé en vingt-huit ans. Plus chaude et fondante. C’est triste. J’espère néanmoins pouvoir continuer à faire ce genre d’expédition. Maintenant qu’on m’a emmenée tout en haut de la montagne, j’ai bien l’intention de remettre ça. Avec Caroline, nous avons décidé de gravir un sommet chaque année!»

Toujours active avec la Fondation Nicole Niquille, qui finance un hôpital à Lukla, au Népal, où elle se rend chaque année, Nicole va aussi mettre à disposition des associations consacrées au handicap cette luge qui lui a permis de retutoyer les sommets. On peut soutenir son action dans l’Himalaya sur www.hopital-lukla.ch