Pour eux, toutes les pistes sont noires

En montant sur le Haut-Plateau dimanche, je me suis dit en regardant le ciel encore nuageux sur les crêtes que si ce 16 mars devait être un jour blanc, pour moi cette fois, ce ne serait pas un véritable handicap pour skier. Car ce qui m’attend s’annonce nettement plus ardu. A l’invitation du Groupement romand de skieurs aveugles et malvoyants (GRSA), qui organise depuis 45 ans des sorties de ski alpin, de ski de fond et des camps OJ, son coordinateur Hervé Richoz se propose de me bander les yeux sur une piste de Crans-Montana. Une expérience destinée à me faire partager l’espace de quelques centaines de mètres ce que ressent un aveugle qui skie en tandem avec un guide du groupement.

Le masque sur les yeux, il faut d’abord monter sur un téléski. Mon guide, le Chablaisien Claude Gut, est expérimenté. « Nous allons prendre un quatre places, on passe la barrière. Go! Maintenant tu arrives sur un tapis roulant. »

Puis vient le compte à rebours, 4, 3, 2. Et à 1 je pose mes fesses sur le siège. Enfin… dans le vide, car je n’y vois rien. « Gilles, je baisse la barre. Tu peux poser tes skis à droite. » A ce stade déjà, je comprends vite que j’ai intérêt à avoir une confiance vraiment aveugle en Claude.

Au sommet de la remontée, nouveau compte à rebours pour quitter le siège. Et nouveau coup de stress. Puis vient le moment fatidique du premier poussé de bâtons dans la pente. Pas bien raide, mais je comprends vite que pour les aveugles, toutes les pistes sont noires, dans les deux sens du terme. Et je m’accroche en écoutant les ordres de mon guide. « Gauuuche, droooite ! » A chaque fois, la durée de prononciation de chaque mot indique la longueur du virage.

Lorsque Claude se tait, je suis censé aller tout droit. Or, foncer dans le noir, je n’aime pas du tout. Sans attendre son ordre, j’enclenche un nouveau virage. Au fil des minutes, dans l’impossibilité d’analyser les aspérités de la piste, mes genoux encaissent de vilains coups.

Je corrige mon équilibre, avec l’aide de mes autres sens, qui bossent à 150%. Pas assez. A deux ou trois reprises, mon oreille interne ne parvient pas à m’envoyer assez d’informations à la seconde. C’est à ne plus savoir dans quelle direction la pente… penche. Allo la terre? Ma réaction est immédiate: je freine aussi sec. Et atterrit sur mes fesses, sous l’oeil rigolard du photographe.

Je me relève et continue, parviens à effectuer une ligne droite, mon guide me tenant par un bâton pour un début de schuss. Au bas de la piste, en enlevant mon masque, je redécouvre piste et montagnes. Et les skieurs. Je n’ai tué personne?

Source : Le Nouvelliste, article écrit par Gilles BERREAU

Lien sur le site du Groupement Romand de Skieurs Aveugles et Malvoyants

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