Triage dans les hôpitaux: «personne ne devrait avoir peur»

(Watson.ch)


La zone de triage des services de secours aux urgences de l’hôpital universitaire de Zurich.Bild: keystone

 

Les personnes en situation de handicap craignent d’être laissées pour compte lors d’un triage dans les hôpitaux en raison d’un nombre trop élevé de patients Covid. L’organisation Tatkraft demande désormais plus de protection. Des médecins ne voient pas cela d’un bon œil.

Par Vanessa Hann

«En Suisse, il manque des bases juridiques pour les décisions liées au triage des patients. Rien ne garantit que les personnes handicapées ne soient pas discriminées dans les hôpitaux surpeuplés», écrit Islam Alijaj sur Twitter. Le président de l’organisation de défense des personnes en situation de handicap Tatkraft veut changer cette situation. Avec d’autres personnes concernées et leurs proches, il adresse une lettre ouverte au Conseil fédéral: une loi doit remédier à cette situation.

Aujourd’hui, les directives situées dans le document Triage en médecine intensive en cas de pénurie exceptionnelle de ressources sont déterminantes en Suisse. Elles constituent une aide pour les médecins. Grâce à elle, ils savent quels patients doivent être traités en priorité en cas de triage. Elles ont été publiées par l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM).

En novembre, nous avions décrypté ces règles

 

Pourquoi ce document est-il critiqué?

Ces «recommandations» ne sont pas suffisamment contraignantes, estime Islam Alijaj. «Nous sommes exposés à la bonne volonté des médecins quant à savoir s’ils peuvent nous offrir à nous, personnes handicapées, le soutien vital dont nous avons besoin dans le cas où il devrait y avoir triage», poursuit le lobbyiste du handicap:

«Cela peut signifier la mort si les chances de survie sont mal évaluées en raison du handicap»
Islam Alijaj, Président de l’association Tatkraft

De son côté, Islam Alijaj n’a pas eu à aller à l’hôpital pendant la pandémie. Cependant, nombreux sont ceux qui doivent le faire régulièrement. «Personne ne devrait avoir peur d’être perdant dans une situation de triage simplement parce qu’il est handicapé.»

Est-ce qu’il y a du mouvement sur le front politique?

La conseillère nationale Ruth Humbel (Le Centre/AG), comprend bien le problème. «Il ne faut pas être victime d’un triage en raison d’un handicap», a déclaré celle qui a présidé la commission politique de Santé du Conseil national en 2021.

Cependant, Humbel veut laisser ouverte la question de savoir si une loi est nécessaire pour protéger les personnes concernées contre la discrimination. «Il est difficile de créer une base légale dans de telles matières», point-elle. Cependant, une discussion politique et sociale sur le sujet du triage liée à la pandémie de Covid est absolument nécessaire:

«Il ne se peut pas que les personnes non vaccinées soient privilégiées par rapport aux patients atteints de cancer ou aux personnes handicapées lors du triage.»

En novembre, elle en parlait déjà

 

Une réflexion dans une situation explosive

L’inquiétude d’Islam Alijaj est explosive: le Groupe de travail scientifique de la Confédération sur le Covid-19 craint que les soins intensifs soient pleins dans les semaines à venir. La patronne de la Task force, Tanja Stadler, a déclaré, mardi, qu’environ 20 000 infections à coronavirus sont attendues prochainement. A Lucerne, les hôpitaux se préparent déjà à l’urgence.

 

Le même débat fait rage en Allemagne

Actuellement, la question du triage des personnes en situation de handicap provoque également des remous chez nos voisins. Mardi, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a, en effet, ordonné au Bundestag (le Parlement) d’élaborer une loi sur la protection des personnes handicapées. Elle a ainsi donné suite au recours de personnes handicapées qui ont avancé les mêmes arguments qu’Islam Alijaj et son organisation.

En Allemagne, des critiques se sont alors élevées contre cette décision. Le médecin allemand Uwe Janssens, spécialiste des soins intensifs, a déclaré au Deutschlandfunk: «Nous ne voulons pas que le juge soit assis au chevet du patient».

Janssens est l’ancien président de l’Association allemande interdisciplinaire de médecine intensive et d’urgence, soit l’équivalent de l’ASSM. Il craint que derrière les inquiétudes des personnes handicapées se cache une mauvaise compréhension des directives de triage. «Notre prémisse la plus élevée en médecine est l’égalité de traitement. Le fait qu’une personne soit en fauteuil roulant ou handicapée d’une autre manière ne joue aucun rôle», explique Janssens. Le médecin souligne, en outre, les limites de la législation:

«Aucune loi au monde ne peut reproduire ce qui se passe au chevet d’un patient»

Il faut faire confiance à l’équipe soignante pour qu’elle rassemble les résultats et en déduise une probabilité de succès clinique, estime le spécialiste.

En Suisse, une élue a déjà mené la charge

Il est intéressant de noter qu’en Suisse, une initiative politique a déjà été prise dans ce sens. En décembre 2020, la conseillère aux Etats Maya Graf (Verts/BL) a demandé au Conseil fédéral d’examiner si les lois existantes garantissent que les décisions de triage ne discriminent pas les gens en raison de leur handicap. Le gouvernement a proposé de rejeter le postulat de l’élue.

Maya Graf aurait pu porter l’affaire devant les tribunaux. La co-présidente d’«Inclusion Handicap» y a, toutefois, renoncé après que l’ASSM a modifié ses directives dans le sens des organisations de personnes handicapées. L’élue a retiré sa demande et s’est même déclarée satisfaite.

Mais, maintenant que le sujet a refait surface en Allemagne, la situation a apparemment changé. Mardi, Maya Graf a déclaré à SRF News qu’elle souhaitait reprendre son postulat, car elle constate:

«Il faut des bases juridiques bénéficiant d’un large soutien politique. Elles donneraient une sécurité juridique au personnel sur place qui doit décider dans une situation de triage.»

Adapté de l’allemand par jah

(article original)