Experts de l’AI pointés du doigt

(Le courrier)

Les patients lésés cérébraux dénoncent le peu de formation de leurs évaluateurs.


Les personnes qui ont souffert de lésions au cerveau en gardent souvent d’importantes séquelles. KEYSTONE- ARCHIVES

 

Pierre-André Sieber

Depuis le ler janvier, la révision de la loi sur l’assurance-invalidité (AI) est en vigueur. Fragile Suisse, association de patients souffrant de lésions cérébrales, n’en est pas contente et le dit dans un manifeste. Elle souligne que, chaque année, 22 000 personnes sont frappées d’une lésion au cerveau. Au total, quelque 130 000 patients doivent vivre avec des séquelles. Les experts de l’AI qui sont chargés d’évaluer leur dossier devraient être des spécialistes confirmés, ce qui n’est pas garanti. Les explications de Rolf Frischknecht, ancien médecin du CHUV spécialiste de la réhabilitation, membre de Fragile Suisse.

Pourquoi cette révision n’est pas suffisante aux yeux de Fragile Suisse?

Rolf Frischknecht:Fragile Suisse salue les efforts de l’assurance-invalidité visant à améliorer la qualité des expertises. Malheureusement, les mesures préconisées ne garantissent aucunement que les experts qui évaluent des personnes victimes de lésions cérébrales aient le savoir approfondi et l’expérience requise pour ce type d’activité.

«Le manque d’expérience est une source d’erreurs fréquentes»
Rolf Frischknecht

Le fonctionnement du cerveau est très complexe. Il n’est pas surprenant dès lors que les troubles consécutifs à des lésions cérébrales le soient aussi. Les troubles sont souvent difficiles à comprendre pour des personnes qui n’en ont pas l’habitude. Le manque d’expertise de beaucoup d’acteurs des domaines médical, social, administratif et judiciaire entraîne des méprises qui privent les personnes concernées du plein accès aux prestations que la loi prévoit pour eux.

Quelles aptitudes faut-il avoir?

Des connaissances amples et approfondies du fonctionnement cérébral. Mais c’est insuffisant.

Il faut pouvoir appliquer ce savoir dans des situations où le cerveau est lésé. Il faut pouvoir analyser l’impact d’une lésion cérébrale sur le fonctionnement du cerveau dans son ensemble et en déduire les conséquences. Il faut savoir rechercher les signes de dysfonction cérébrale dans la vie de tous les jours et dans la vie professionnelle des patients. L’expérience dans les domaines de la réadaptation
et du suivi à long terme est requise. S’y ajoute qu’une lésion cérébrale a rapidement des répercussions sur d’autres systèmes, tels que l’appareil locomoteur ou la vision.

A votre avis, les experts de l’AI se trompent-ils souvent?

Hélas! Pour pouvoir évaluer correctement des personnes victimes de lésions cérébrales et repérer l’ensemble des dysfonctions, un examen soigneux et des observations prolongées dans des situations concrètes de la vie sont nécessaires. Malheureusement, les experts n’ont souvent pas le temps de le faire, ce qui conduit à des conclusions erronées. Le manque d’expérience avec des personnes victimes de lésions cérébrales est aussi une source d’erreurs fréquentes. L’expert évalue mal l’impact sur la vie professionnelle ou de tous les jours.

Les employeurs sont-ils disposés à engager des personnes souffrant de lésions cérébrales ou de séquelles?

Il n’y a aucune obligation. Et il n’y a pas d’incitations non plus à le faire. Quelques employeurs adaptent la place de travail d’un
employé pour lui permettre de poursuivre son activité professionnelle. Ils le font par souci humanitaire et par gratitude pour services rendus. Un cas de figure peu fréquent.

Que faudrait-il faire pour soutenir les quelque 300000 proches aidant des gens victimes de lésions cérébrales?

La situation est particulièrement difficile pour des proches qui doivent travailler en raison de revenus insuffisants. Ceux qui arrêtent leur activité professionnelle pour soigner un proche ne perdent pas seulement leur salaire, mais sont aussi pénalisés sur le plan de leur prévoyance.

Les soins à domicile devraient s’organiser de manière à pouvoir assurer des soins de relève avec l’intensité requise et de telles prestations devraient être prises en charge par les assurances sociales. En cas de nécessité, les proches aidants devraient être soutenus financièrement, notamment si la société fait des économies grâce à l’intervention de ce proche mis à contribution.
LA LIBERTÉ