Les personnes en situation de handicap n’existent pas

(24heures)

Dans la rubrique « l’Invité » Sébastien Kessler regrette le peu d’ambition de la politique en faveur de «la minorité la plus importante à laquelle chacun peut, du jour au lendemain, appartenir».


Sébastien Kessler Conseiller communal PS, Lausanne, membre du comité d’Inclusion Handicap

 

Les handicapés ne servent à rien et coûtent cher! Car si l’inverse était vrai, si au contraire ils rapportaient quelque chose, un «plus» à la société, on n’en serait pas là. Là, au point où l’inclusion est devenue une quasi-mode, reprise à tire-larigot jusqu’à être vidée de son sens. Là, au point où les personnes et les familles concernées mènent au jour le jour, jusqu’à l’épuisement, une vie de combat. Un seuil qui ne devrait plus exister à l’entrée d’une bibliothèque. Ou, plus grave, un abus à jamais étouffé par manque d’éducation sexuelle adaptée, manque de formation des professionnels et de temps accordé à l’expression des sentiments et ressentis. Enfin, face à des transitions de vie anxiogènes: ma fille, avec une trisomie, pourra-t-elle entrevoir un futur digne et autodéterminé à sa majorité? Petits ou grands, ces combats doivent cesser.

«Côté politique, ce n’est jamais un sujet, le handicap.»

Bien entendu, la question «que rapportent-ils?» a peu de sens. Sans bénéfice flagrant, des populations entières seraient décimées à ce titre, handicapées ou pas. La question irrite parce qu’elle traduit l’ambivalence envers l’inclusion sociale. Entre utilitarisme et valeur économique. Entre indifférence et cette petite voix qui nous prévient qu’un jour, probablement, nous aussi nous souffrirons d’un handicap. Cette indifférence me fâche.

En attendant, personne n’est réellement sur la touche, l’état social y veille, du moins on s’en persuade. Mais lorsqu’on parle d’école inclusive – simplement une bonne école, soit dit en passant – c’est «oui, mais pas dans cette classe, l’enfant autiste».

Côté politique, ce n’est jamais un sujet, le handicap. C’est oublier que les personnes en situation de handicap constituent entre un quart et un cinquième de la population, que cette statistique croît sans cesse et qu’il s’agit probablement de la minorité la plus importante à laquelle chacun peut, du jour au lendemain, appartenir.

Et si parfois les politiques s’emparent de la question, c’est pour acquiescer tous bords confondus ou voter dans une méconnaissance feinte des réalités vécues. Preuve en est la pauvre considération portée à l’assurance invalidité ou à la thématique enlisée de l’emploi des personnes «autrement capables». Dans la formation comme dans l’emploi, on a les moyens de ses ambitions; en Suisse, c’est l’ambition qui manque.

Trains inaccessibles

Alors non, tout ne va pas bien. À l’heure d’écrire ces lignes, fort est à craindre que les futurs trains Dosto ne seront pas accessibles comme nécessaire; l’arrêt du Tribunal fédéral le dira. Sous peu, l’ONU jugera la Suisse sur le respect de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, une première; il est fort à parier qu’on peut mieux faire.

Enfin, si la triste et récente pandémie pouvait servir à quelque chose: ayons une pensée rationnelle, pas charitable, pour ceux qui, Covid ou pas Covid, vivent invisibles, dans l’isolement, avec de faibles revenus, une mobilité réduite, une compréhension défaillante, des relations amputées de toute proximité ou de contact physique.