Malgré le discours lénifiant du DIP, rien ne serait réglé à Mancy

(Tribune de Genève)


Foyer de Mancy, à Collonge-Bellerive: faut-il confier sa gestion à une institution privée subventionnée? LUCIEN FORTUNAT

 

Laurence Bézaguet

Le passage d’une gestion publique du foyer à une gestion privée suscite, en outre, des réserves.

«De la tristesse.» C’est ce que ressentent plusieurs professionnels de l’Office médico-pédagogique (OMP) après la présentation du dernier audit sur les dysfonctionnements du Foyer de Mancy, réalisé à la demande du Département de l’instruction publique (DIP). Une enquête qui ne les a pas ménagés (notre édition du 4 mars).

«Nous avons le sentiment de ne toujours pas être entendus, regrette une collaboratrice du secteur médico-psychologique de l’OMP. Il est évident que l’on doit au plus vite stopper les dysfonctionnements, mais la hiérarchie du DIPn’y parviendra pas en se contentant de charger notre office et en oubliant totalement le vécu des gens sur le
terrain, la violence à laquelle ils sont confrontés au quotidien.»

Grosse frustration

Résultat, les absences se multiplient et les remplaçants, man- quant de formation et d’expérience dans un milieu aussi difficile, sont légion, constatent des professionnels: «Tout cela, au détriment des enfants qui ont besoin de repères et de continuité dans la prise en charge pour créer des relations de confiance. Un idéal auquel nous n’arrivons pas à répondre, ce qui nous frustre terriblement.» Cela est visiblement encore aujourd’hui le cas à Mancy. L’OMP conteste ainsi l’affirmation des experts selon laquelle on constaterait «une nette amélioration» dans ce foyer. «Ce n’est pas vrai, l’équipe reste en grande difficulté et vous continuez à ne pas nous entendre!»

L’OMP sacrifié? Cela n’est pas sans conséquence sur l’engagement du personnel. «Nous nous sentons bien seuls face à des jeunes qui vont vraiment mal, confie une autre source. Mis sous le feu des projecteurs, des collègues n’osent plus sortir avec ces enfants parfois agités, de peur de susciter des réactions dans la population. La violence liée aux pathologies des jeunes nécessite une structure extrêmement contenante pour soutenir et guider le personnel, pour lui permettre aussi de décharger son stress dans des espaces de réflexion. Si la hiérarchie n’est là que pour juger ce que les collaborateurs font «de mal», on va droit dans le mur.»

«On sent la fin de la législature, quelques-uns ont quitté le DIP, les autres attendent, notent certains. Dans ce climat de peur qui sévit au département, nombreux se sont mis en retrait.» À l’OMP, on a surtout le sentiment qu’Anne Emery-Torracinta «veut sauver sa peau en discréditant le travail de l’office, sans aucune remise en question personnelle, alors que c’est elle qui est censée diriger le DIP. Elle use d’une déresponsabilisation systémique pour déplacer le fardeau ailleurs…»

L’audit se termine, en effet, en proposant plusieurs mesures aptes, espèrent ses auteurs, à résoudre les problèmes. La plus significative: confier la gestion de Mancy à une institution privée subventionnée en vue d’une «gestion plus souple» et mieux surveillée.

«Un passage obligé»

Des spécialistes des troubles du comportement émettent de grosses réserves. «Mancy figure parmi les foyers les plus complexes du canton, raison pour laquelle il est rattaché à l’État (comme ceux de Pré-Lauret et de l’Aubépine qui accueille, lui, des jeunes souffrant de problèmes psychiques), explique l’un d’eux. Comment peut-on ainsi envisager de les confier à des structures qui n’ont pas les équipements et le personnel nécessaires?»

Il faut savoir que peu de monde se presse au portillon pour travailler dans ces foyers où l’on n’est pas à l’abri des coups: «On trouve bien sûr des gens loyaux et hypermotivés, mais si on arrive à attirer du personnel qualifié à l’OMP, c’est avant tout parce que c’est un passage obligé dans le cadre de sa formation.»

Un autre collaborateur de l’OMP de rappeler: «On a créé Mancy car personne ne voulait de ces enfants! Qui en voudra à présent?» Il estime que «tout dépendra de ce que l’on sera prêt à mettre sur la table. S’il y a un repreneur, le prix demandé devrait être à la hauteur de la garantie de pouvoir assurer cette prestation.»

«Pas de miracle»

Car les organisations privées subventionnées – membres de l’Association genevoise des organismes d’éducation, d’enseignement et de réinsertion (Agoeer) – directement concernées par le transfert des structures aujourd’hui gérées par l’OMP, accueillent, elles aussi, cette proposition avec réserve.

Pierre Coucourde, président de l’Agoeer et directeur général de Clair Bois: «D’un côté, nous sommes convaincus que les structures privées offrent une plus grande agilité, une plus grande souplesse que l’État pour s’adapter à des besoins nouveaux. Mais d’un autre côté, nos organisations ne font pas de miracle.Elles ont besoin de moyens, de personnel formé, d’infrastructures adaptées et rénovées pour accueillir ces enfants dans de bonnes conditions.»

Ainsi le passage d’une gestion publique à une gestion privée ne permettrait pas de faire l’économie d’une réflexion de fond sur les moyens engagés par l’État pour l’accompagnement des enfants aujourd’hui accueillis par l’OMP, ajoute-t-il.

«Le calendrier n’est pas clair à ce stade, mais si on veut réaliser un transfert dans le respect des enfants, des familles et des collaborateurs, il est impératif de prendre le temps de concevoir les choses en partenariat, et sans précipitation.» Directeur de la Fondation Ensemble, Jérôme Laederach ne pense pas différemment: «Cette question mérite réflexion, mais elle doit être menée sans précipitation. Nous devons vraiment voir si les choses sont faisables.»